Citations de Guillaume Vissac (35)
« Mon ombre quittant son mur, sa bidimensionnalité. Et, à sa place, quelqu’un avait poussé. »Retour ligne automatique
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« J’ai su geler bien des jeunes fauves dans l’ambre de ces pellicules. »Retour ligne automatique
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Je peux pourtant le dire sans risquer de me tromper : c’est arrivé. Et arrivé, et arrivé encore, si l’on compte aussi le nombre de fois où j’ai pu rejouer la scène dans ma tête. On devrait toujours compter les fois où les choses se jouent dans nos têtes. Elles comptent.Retour ligne automatique
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Une main ouverte chaparde l’iPhone. Se dégager désespérément du siège pour rattraper le corps, rattraper l’objet. Je coure après pour sa mémoire, pas sa valeur. Je veux mes photos enfouies dans la carte sous la batterie. Je veux mes prises de notes quotidiennes depuis des mois. Je veux ma tête, mon œil, mon estomac. Un couteau dans le bide je poursuis l’agresseur, le poignarde à son tour. Il tombe rouge dans les marches d’escalier, sa tête entre les portes empêchent la fermeture. Tant pis si c’est encore un gosse, tant pis s’il porte encore et couche et tétine, tant pis s’il ne sait pas marcher : poussez-le hors du train, je gueule aux autres, et rendez-moi ma tête.
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Sa main glisse, le métro freine : il vacille : il tombe. Disparaît au cœur de la foule, son corps aspiré par le bas, caché sous ceux des autres, mais personne ne le voit. Les visages fixent encore — silence — leur reflet respectif, là, dans le flou de la vitre. Je me rapproche pour le chercher mais je le manque : aspiré par le sol et les câbles, il a sans doute basculé dans un envers quelconque, une dimension du sol, et le métro s’éloigne.
La dernière strate est ici, maintenant, et prend la forme d’un livre papier. S’il fallait le définir, sans doute faudrait-il écrire ici qu’il s’agit d’un roman en pièces détachées. Il y a un monde littéralement sous terre qui existe et qui vit avec nous, sans nous. C’était une autre contrée à traverser, elle s’est retrouvée à proliférer par elle-même, dans les notes de bas de pages, repensées pour cette édition.
De manière à ce que l’on puisse, au choix, ou simultanément, cheminer dans le désordre initial de la polyphonie ou avancer linéairement. En haut ou en bas. En surface ou dessous. Une grande partie des notes a été réécrite, voire réinventée, pour donner écho aux vies souterraines de nos villes. N’importe quelles villes. Elles sont comme nous : elles inventent, elles respirent. Peut-être Accident de personne, durant ces quelques années d’écriture, désécriture, réécriture, a-t-il su en cristalliser quelques bribes, quelques bris… Sans oublier les cris. Ce livre est plein de cris. Cette histoire (ces histoires) est celle de celles et ceux qui sont au bord, de vivre, mourir, essayer quelque chose.
De s’enfuir, aussi. On est là avec eux, avec elles. On hésite.
CELUI OU CELLE QUI… EST À BOUT
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hurle tellement fort que mon visage fissure : on a tiré le signal d’alarme en pleine marche & on dirait que c’est moi (080)
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on arpente les voies pour mieux voir, mieux vivre, mieux violenter les voix qui tapent à l’intérieur (081) des images comestibles
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quand la nuit tombe (082), quand les trains fusent, mes tripes se tournent : je suis malade de vouloir l’être (083)
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je paye plus mes factures, on m’a coupé les ponts (084) : si j’arrête mon abonnement SNCF le train va-t-il piler (085) devant ma tête offerte ?
080 L’autre est un jeu. – CELUI OU CELLE QUI DIT « REGARDE » SANS POUR AUTANT GUIDER
081 Si on scannait directement les crânes de ceux qui n’en peuvent plus, pourrait-on déjà voir, prisonniers sous les courbes, les schémas illustrés de leur pathologie ? – CELUI OU CELLE QUI THÉORISE
082 Tenez-bon : la nuit nous emporte. On suit ses canots, on s’enfonce loin dans ses artères. On est sur la bonne voie. – CELUI OU CELLE QUI S’ACCROCHE À LA NUIT
083 Mais l’a-t-on seulement déjà été ? – CELLE QUI USE DE L’IMPARFAIT
084 Voilà précisément pourquoi il faut, plus aujourd’hui encore qu’hier, « sauter à pieds joints dans la modernité ». – CELUI QUI TRAVAILLE PLUS POUR GAGNER PLUS
085 Les règles du jeu sont claires. Pas de ticket, pas de suicide. – CEUX QUI CONDUISENT
CELUI OU CELLE QUI… COMMENCE A COMPRENDRE
reflet contre la vitre : mon visage devenu trou noir de câbles, d’os & de rails : c’est une prémonition (053) ?
(053) Pour te lire l’avenir dans la main j’aurai besoin, eh bien, de tes mains (053 bis). – CELUI OU CELLE QUI FAIT DES PROJETS POUR L’AVENIR
(053 bis) La ligne de vie a giclé par là-bas. – CEUX QUI RAMASSENT LES MORCEAUX
Accidents de personne, incidents voyageur, accidents graves de voyageur… Je n’ai pas compté le nombre de fois où j’ai rencontré ces locutions, que ce soit dans un message vocal diffusé par un haut parleur ou écrit sur les pixels d’un écran, durant mes interminables allers-retours de la banlieue vers Paris et vice et versa, ces dernières années. Ça aurait été glauque. Mais c’est arrivé suffisamment souvent pour que j’éprouve le besoin d’écrire sur le sujet, et d’écrire au plus près de ces heures étranges, en transit, c’est-à-dire dans une rame. Sur un quai. Entre deux correspondances. Le plus souvent au pouce, sur l’écran d’un téléphone. Des notes. Pendant un an et demi, ça va s’accumuler dans la mémoire flash de l’appareil. Ça, c’était quoi ? Je n’en savais rien, mais ça prenait de l’ampleur.
Regarde : c’est un musée des morts qu’on aurait déterré. (→ CELUI OU CELLE QUI DIT « REGARDE » SANS POUR AUTANT GUIDER)
La mère de Maude est revenue dans un nuage de fumée blanche. La cigarette appartenait à sa fille. Elle en fumait depuis sa disparition.
http://wp.me/p5DYAB-1xc
S’approcher doucement jusqu’au bord et voir vibrer ce vide, aube écrasée, lourdeur d’août.
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Non, pitié,
pas la contrariété
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Sans être sorti tu reviens : c’est un couteau de cuisine que tu me plantes entre les omoplates.
Le train d’en face résonne dans le tunnel et me renverse comme une motte de beurre.
je fuis par la gauche à travers la vitre, qui m’aime me suive.
Mes jambes retombent à ma place dans le wagon, mon torse et crâne retombent sur la voie, plusieurs centaines de mètres plus loin.
Bien sûr, j’étais en avance. Très près de l’interphone, ma voix sentait l’haleine.
— C’est Misère Balkaï, on s’est parlé au téléphone.
Et la mère de la fille disparue m’a ouvert.
— Seizième étage. L’ascenseur est en panne.
De l’autre côté de la porte du hall il y avait une autre série de portes fendues et mille rangées de boîtes aux lettres identiques. Des adolescents en survêtement étaient assis sur les marches d’escalier autour de la cabine d’ascenseur et ils crachaient par terre. Ça sentait la drogue mal coupée, la sueur synthétique et la pornographie. Ils se prêtaient leurs téléphones en les faisant circuler de mains en mains et ils se sont écartés des marches pour me laisser passer. L’un d’entre eux a regardé mes seins lourds comme on regarde un insecte prisonnier dans sa main avant qu’il ne s’envole et, seize étages plus haut, à bout de souffle, le cœur dans la mâchoire, je me suis retrouvée à frapper à la porte 8-C d’une certaine femme aux yeux désespérés. La mère de la fille disparue avait des rides aux coins des paupières et des lèvres gercées. J’ai vite compris, à cause de ses pupilles, qu’elle ne s’attendait pas à découvrir une femme de ma taille et de ma corpulence. Sans doute avait-elle imaginé une femme petite et maigre, emmitouflée sous des couches de vêtements en peau, des nattes pendantes de part et d’autre du visage et des yeux vaporeux ; bref, le portrait type d’une chamane chez ceux qui ne savent pas ce que recouvre exactement ce mot. En réalité j’étais grande, rectangulaire, des cheveux courts très gris et des yeux turcs, presque bridés. Je me suis essuyé la sueur de la nuque avec ma manche. Elle a hésité avant de me laisser entrer. Elle n’avait pas de quoi payer et, de toute façon, elle ne croyait pas à mes histoires d’infra-monde, m’a-t-elle dit.
J'actionne les mandibules comme on tabasse quelqu’un dans le ventre et les côtes, je pense : jusqu’à ce que la machine s’arrête. J’essaie de pas penser à la bouffe que je laisse engluée dans ma gorge, bientôt mon ventre.
Tant que mes yeux restent fixés sur lui, je pense, le type aux cheveux bleus, je pense, le cauchemar de mes rêves de gosse, ma main, main droite, j’en suis sûr, elle se tiendra douce et blanche dans le silence de mes poignets tordus. Je peux sentir les pointillés sucrés contre ma peau juste sous mon coude, côté droit. Je peux sentir ma sueur collée sous mes aisselles et sous mes bras. Le poids de mon t-shirt gris qui me rappelle qu’un jour il était blanc.