[
Joly Guth]
Entretien avec
Joly GUTH à propos de son livre "Les Croqueurs de sable" (aux éditions Vents d'Ouest).Elle explique l'histoire de son livre, parle du héros et de son travail d'
illustration.
Bonjour Olga,
j'ai bien reçu ta longue lettre. Cela l'ait même plus d un mois mais je n ai pas pu la lire tout de suite parce qu elle était presque tout écrite en français. - Je ne peux pas lui dire qu'en fait, j'ai oublié sa lettre dans ma poche - Je vois que depuis notre rencontre cet été dans le transsibérien, tu as un peu appris ma langue. Tu as de la chance, ton grand père parle le russe alors il a pu t aider. Moi, je suis toujours aussi lamentable en français, en russe et en tout. Et comme des événements très graves m empêchent de retourner à l'école, je ne vais pas faire beaucoup de progrès.
Depuis que je l'ai reçue, j'ai toujours gardé ta lettre dans ma poche. C est Ania, une jeune fille très sympa qui me l'a traduite. - Là non plus je ne vais pas aller lui raconter que je voulais le faire mais que je n'ai pas eu le temps. J'imagine qu'elle a dû aller sur l'île de Sakhaline comme prévu et qu'elle me décrit son voyage -Tu as eu de la chance d'aller jusqu'à l'île de Sakhaline et tu as vécu une aventure extraordinaire. Quel voyage ! Moi, l'été a été sympa mais le début de l'hiver est un cauchemar.
Ce soir-là, il régnait une ambiance bizarre dans la cuisine. Etrangement les casseroles attérissaient avec une extrême lenteur sur la gazinière. Les ustensiles planaient, voltigeaient au rythme de la discussion de mes parents. Lorsque la phrase s'interrompait, la poèle se figeait en l'air, tournait en rond puis allait d'échouer, vide, sur un feu éteint.
Vous faites de l’Escargot un dieu !… Un leurre, un vulgaire guide-âne que vous suivez aveuglément, attendant de lui un miracle sans doute !
Comme nos ancêtres hein ? Les mêmes mensonges, mes mêmes mange-vies ?!
Mais pourquoi ne pas dire la vérité à ces gens ?
Mais réagissez vous autres ?
Ou plutôt non. Ne bougez pas ! Ne dites rien ! Restez des ombres, braves gens !
Mijotez dans la peur et mourez aveugles avec leurs chimères accrochées à vos iris !
Votre peur cancer.
Leurs dieux somnifères.
Pendant que les légumes rissolaient dans l'huile, papa et moi sommes restés figés, tels deux astres morts face à cette mystérieuse lettre blême venue d'on ne sait où et tombée là au beau milieu de notre table. L'atterrissage de cette chose semblait si extraordinaire que pas une assiette n'osait rivaliser avec la blancheur de ce rectangle constellé de tampons charbonneux.
Viktor, donc, c'est moi. J'ai onze ans, une tignasse qui n'a pas su choisir entre le bouclé et le raide et qui a opté pour un hirsute ondulé pas toujours gracieux. Je ne suis ni grand, ni petit, ni beau, ni laid. Je me trouve plutôt quelconque, un gamin normal qui va et vient dans une existence banale entre l'école, la maison, les devoirs et les jeux.
Plutôt taciturne, il parle peu et passe le plus clair de son temps seul à cheval en compagnie des nuages et des moutons. Il possède une connaissance inouïe du lac et peut selon la couleur, les brumes qui s'en élèvent ou celles qui transpirent des montagnes, prédire le temps qu'il fera le lendemain.
Comme Heurtebise aurait dit : « Cette histoire dérape dans la merdance. » Et j’ai beau me traiter d’idiot, de pauvre idiot, j’ai soudain comme une terrible certitude ! Moi, Varech Saccavent, j’ai comme qui dirait foutu les deux pieds dedans et sacrément haut dans les bottes en plus !
Ah parce que vous croyez que je m’ensable dans la glandouille ?
Pêchebadin, depuis que vous avez collé les deux pétoncles de vos fesses sur ces rivages… vous n’avez que votre importance à pavaner, tourne vissée sur votre gros fessier de feignasse !
Mais moi je bosse !
Mais lui, pour qui seul le présent compte, a un passé bien lourd à porter. Alors parfois comme en cet instant, près de l’une de ces routes qui cisaillent l’horizon de son petit trait dérisoire, il le raconte à son ombre.
Je trouve ça très peinable mais je crois que cette fois-ci, j’ai glissé trop profond dans la merdance.