Gwendoline Cachia

Un jour, l'on pouvait être la personne la plus heureuse du monde et le lendemain n'être plus qu'un souvenir.

— Vous devez lâcher prise ou vous n’y survivrez pas !
Croyez-vous qu’elle vous ait sauvé la vie pour vous voir vous
détruire ? Pensez-vous qu’elle aimerait celui que vous êtes
aujourd’hui ?
— Elle n’est plus là pour le voir ! hurla-t-il soudain. Et tout
vient de là ! Vous croyez que tout va s’arranger à coups de
belles paroles, de compassion ou de reproches ? Vous croyez
que c’est simple pour moi d’être là devant trois hommes
morts sous mon commandement ? Vous croyez que rester
près d’eux pendant une heure m’accorde la rédemption ?
Non, ça ne change rien ! J’ai beau penser d’eux le meilleur,
ils sont toujours morts ! Je leur rends hommage parce qu’ils
le méritent, pas pour gagner des bons points ! Vous croyez
que je me soucie de ce qui se dit dans mon dos ? Absolument
pas ! Je fais mon job ! Et correctement ! Comment je le fais,
ou comment je vais ne regarde personne ! Méliana est morte
pour rien ! Et oui, je suis responsable ! Parce que j’aurais
dû comprendre ce qu’elle allait faire ! Elle était venue me
parler sur Kilumb avant d’aller sur cette putain de planète
et je n’ai rien voulu entendre ! Pourquoi ? Parce que j’étais
furieux ! Je lui en voulais d’avoir douté de moi ! De nous !
De ce que je ressentais ! Je suis responsable ! Alors, avant
de pouvoir accepter sa mort, second, il faudrait déjà que je
comprenne pourquoi moi je suis encore en vie !

Doucement, Névil s’assit et attendit quelques secondes avant de dire tout en regardant Méliana :
— Vous le savez, n’est-ce pas ? C’est pour cela que je suis ici… Vous savez qu’elle m’a aidé.
Dostine soupira de voir cet humain si intuitif.
— J’ai pris cela pour une approbation de sa part à vos demandes de visite répétées. Je ne sais pas si elle se réveillera un jour, asséna le Grand Sage, mais vous êtes le seul lien qui la retienne encore en ce monde…
Dostine partit en silence, priant les Dieux que cet homme réussisse là où lui avait échoué.

Dès que la porte latérale s’ouvrit, une bourrasque de vent brûlant chargée de cendres incandescentes les accueillit. La visibilité était pratiquement nulle, la chaleur insupportable et le bruit assourdissant.
C’était effarant !
Méliana s’élança sans une seconde d’hésitation et Névil la perdit de vue presque instantanément.
Comme elle le lui avait demandé, il resta près de la porte et attendit prêt à aider les enfants à monter dès leur arrivée.

« Un merveilleux endroit pour mourir… », pensa-t-il.
La nuit éternelle comme décor pour ses dernières
minutes. Les astres veillant son âme quittant son enveloppe
charnelle. L’univers pour seul témoin… Névil n’avait pas
peur. Il était désolé pour ceux qui l’entouraient, encore des
morts sur la conscience… mais lui ressentait un tel soulagement
qu’il en eut les larmes aux yeux. Enfin, tout allait
s’achever. Son calvaire était terminé !

Elle ne comprenait pas ce qu’il disait. Pouvait-il lui dire de boire de l’eau comme si cela allait tout effacer ? Ses yeux restaient rivés sur Enrico. Y avait-il une limite à ce que l’homme pouvait faire subir à ses semblables ? Y aurait-il un jour une fin aux guerres pour qu’enfin on ne fabrique plus de telles horreurs ? Ces questions se télescopaient dans son esprit confus sans qu’elle ne pût y réfléchir vraiment.

La sortie du vortex fut aussi rude que l’entrée.
La décélération fut importante au point que Méliana se retrouva projetée vers l’avant, heureusement bien maintenue dans son siège grâce aux sangles de sécurité.
— Deux minutes avant entrée dans l’atmosphère d’Aérus, annonça GAIA, l'intelligence artificielle.
La jeune femme se détacha pour être plus libre de ses mouvements et se concentra pour affronter la suite.

Elle le vit se pencher lentement et lorsque, délicatement, il posa ses lèvres chaudes sur les siennes tremblantes, le cœur de la jeune femme explosa.
Névil était son âme sœur. Son autre elle-même. Celui sans qui sa vie ne valait pas d’être vécue.
C’est pour cela qu’elle savait que ce baiser serait le dernier.
Oui, cette nuit, elle partirait.
Non… elle fuirait…

— 4…
Le rayon entra directement en contact avec le point faible du vaisseau siphonneux qui explosa et alla s’encastrer à quelques mètres sur la gauche.
— 3…
Sans attendre, elle jeta l’arme bien trop imposante pour la suite.
— 2…
Elle courut aussi vite que possible afin de s’éloigner de ce qui allait arriver.
— 1…
Elle se jeta à terre et s’aplatit le plus possible.
— Autodestruction…
Son vaisseau explosa.
La déflagration fut sur elle en moins d’une seconde, soufflant, balayant et brûlant tout sur son passage.
Méliana sentit la chaleur et le choc, mais resta plaquée au sol par la seule force de ses muscles.
Une fois le plus gros passé, elle relâcha la pression et se releva lentement.
Elle regarda devant : de son vaisseau ne restait que des morceaux de carcasse fumants.
Elle regarda derrière : plus de Siphonneux à l’horizon…
Elle fit un rapide topo de son état et de ses armes. Tout allait aussi bien que possible et sa combinaison avait encaissé correctement.

— Elle se rapproche…
— Je sais, Vèl. Mais c’est bien ce que nous voulions, alors pas d’affolement, lui répondit Éliostate étrangement excité à l’idée de se retrouver bientôt en présence de sa belle-fille.
Il allait enfin pouvoir lui montrer que, même s’il n’était pas une Ombre, qu’il n’était pas un guerrier invincible, lui aussi avait des pouvoirs !
Et le plus grand dont il pourrait se vanter serait celui d’avoir éliminé un soldat de l’Ordre.
— Tout est prêt ?
— Oui. Tout est en place, assura Ifolgon en fermant la double porte de cette pièce où arriverait dans peu de temps l’humaine qui avait fait échouer les espérances de ses Princes.
L’Orbionite savait qu’il avait manqué à ses serments de toujours servir ses souverains. Il avait échoué, mais se présentait, pour lui, une façon de se racheter.
Aujourd’hui, il réussissait ou il mourait. Son honneur ne pouvait concevoir de retourner sur Orbion sa réputation entachée d’un raté de plus.