Hakan Marty

Ta famille, c'est celle que tu choisis, celle dans laquelle tu te construis. Ta famille c'est celle qui prend soin de toi et qui est là dans les moments importants. Les moments joyeux ou difficiles ...

J’apprenais que dans ce vaste monde j’étais loin d’être le plus mal loti, qu’il existait des continents où les enfants, malgré la misère et le dénuement, profitaient de chaque instant de bonheur. Que l’amour, le partage et la solidarité pouvaient nous redonner des forces.

Pendant le déjeuner je remarquais que les enfants avaient le droit de s'exprimer, qu'en plus, ils partageaient leurs points de vue à égalité avec les adultes. Tout le monde participait, c'était un échange plein de vie. Lors du premier repas, j'étais très intimidé. C'est plus tard que je me joignis avec grand plaisir aux conversations. Faire part de mes impressions me faisait découvrir un sentiment nouveau. Celui d'avoir de la valeur.

Lorsqu’un jeune de 14 ans, qui s’est donné les moyens d’avoir de bons résultats scolaires pour prétendre à une filière générale, est contraint par la Protection de l’enfance de choisir une filière professionnelle pour que, à sa majorité, il puisse quitter son foyer ou sa famille d’accueil en ayant la possibilité d’être inséré professionnellement et de subvenir à ses propres besoins, il n’y a pas d’égalité des chances. Inutile de dire ce que cela crée comme dégâts psychologiques, comme frustrations et sentiment d’insécurité…
Le comble de cette politique absurde c’est que les jeunes fraîchement sortis de l’ASE se retrouvent souvent à la rue, terrifiés, obligés de faire appel au 115 qui les oriente vers des centres d’hébergement d’urgence, au moins aussi coûteux que s’ils avaient eu l’opportunité d’être pris en charge quelques années de plus par le département. Cherchez l’erreur…

La meilleure façon de régler le problème est d'en parler.

M.Dubois était le psychologue de l’ASE chargé de me suivre depuis tout petit. Lorsqu’elle m’y conduisait, Tata me donnait beaucoup de consignes dans la voiture : « Il faut que tu dises que tout va bien à ce monsieur, sinon on risque de te retirer de chez nous. On te mettra chez des gens que tu ne connais pas et on ne se reverra plus jamais. »

Terrorisé à l’idée de ne plus la revoir, je me montrais très poli, très gentil et très, très souriant pendant qu’il me posait des questions. Je jouais sans quitter mon sourire béat et je prenais soin de dessiner de grands soleils jaunes. Je ne sais pas combien d’années ont duré tous ces soleils et ces sourires béats. Peut-être jusqu’au CM2.
Je ne lui parlais pas des après-midi entiers passés à recopier des lignes. C’était ma faute après tout, je n’avais qu’à pas faire le con.

Dès la maternelle, j'ai compris que j'avais deux vies parallèles. Celle de la maison et celle de l'école.

Je ne connaissais pas grand-chose de ma mère. Pendant toutes ces années, je l'ai idéalisée comme une sorte de personne impalpable, une icône, la Sainte Vierge avec une auréole au-dessus de la tête. Qu'elle soit prostituée, dealeuse, droguée ou les trois en même temps, peu importait. Elle était au-dessus de tout. Ma mère étai comme un soleil à chacune de ses apparitions. Ses rayons persistaient en moi. Elle était la force intérieure sur laquelle je pouvais prendre appui.
Mes interrogations à son sujet se bousculaient dans ma tête mais j'arrivais difficilement à les formuler. Parce que j'avais peur de ce qu'on me raconterait sur elle. Aussi parce que les mots, en sortant, heurtaient mon coeur comme si je les puisais au centre névralgique de ma souffrance.

Tourner cette page, c'est accepter son passé.