« Petite Anatomie de l’Image » de Hans Bellmer (2002, Edition Allia, 80 p.) est une réédition de « Petite anatomie de l'inconscient physique ou l'anatomie de l'image :» (1978, Eric Losfeld, Le Terrain Vague, 71 p.) qui analyse ses obsessions.
Hans Bellmer (1902-1975) est un artiste allemand, né à Kattowitz, en Silésie, qui n’était pas destiné à devenir un des artistes majeurs du surréalisme. Après des études techniques, il découvre le mouvement dada, et abandonne son travail dans une aciérie puis une mine de charbon. George Grosz (1893-1959) lui fait découvrir, en plus du dessin industriel, le dessin libre, la caricature, surtout à travers de son œuvre emblématique « Les Funérailles d'Oskar Panizza » (1917). Et surtout le dessin provocatif, satire de la société bourgeoise allemande d’après la première guerre. « L'artiste d'aujourd'hui, s'il ne veut pas tourner à vide, être un raté passé de mode, ne peut choisir qu'entre la technique et la propagande pour la lutte des classes. Dans les deux cas, il doit abandonner l'art pur ». Hans Bellmer fréquente les dadaïstes et les surréalistes lors d’un séjour à Paris en 1925-1926. De retour en Allemagne, il est en butte aux idées des nazis, qui ont pris le pouvoir en 1933. Il confectionne alors « La Poupée » (1936), une sculpture de bois, papier mâché, collé, et peinte qu’il présente dans la revue « Le Minotaure ». Son sous-titre « Variations sur le montage d’une mineure articulée », représente une poupée, schématise et désarticulée. Selon Bellmer, « la femme serait comme une anagramme, dont il varie à l'infini les variations et métamorphoses, selon le moteur du désir ». Ce travail est très vite qualifié d'« art dégénéré » par les nazis.
Installé à Paris, en 1938, il est arrêté en tant que citoyen allemand, et interné au Camp des Milles à côté d’Aix en Provence, avec Max Ernst et Ferdinand Springer. Lire à ce sujet le livre « Bellmer, Ernst, Springer, Wols au camp des Milles » (2013, Flammarion, 128 p.). Ne parvenant pas à s’exiler aux Etats Unis, il vit alors dans la clandestinité. En 1946, il illustre « Histoire de l’œil » de George Bataille (1947, Séville, 133 p.).
En 1953, il rencontre Unica Zürn (1916-1970), qui travaille avec lui sur les anagrammes, mais souffre de grave dépression. Ils vivent ensemble à Paris, mais leur relation est perturbée par la santé mentale d'Unica, qui fera des tentatives de suicide et sera internée plusieurs fois. En 1969, Unica Zürn est de nouveau internée à Maison Blanche. Lire ce qu’elle en dit dans « Vacances à Maison Blanche » (2000, Joëlle Losfeld, 191 p.). Hans Bellmer fait un AVC et devient hémiplégique. Il plonge dans un profond mutisme jusqu'à la fin de sa vie. L'année suivante, en 1970, Unica Zürn sort de la clinique où elle était internée, elle se rend chez lui et se suicide en se jetant par la fenêtre de son appartement.
L'œuvre de Bellmer est souvent associée selon une dérive psychanalytique au vocabulaire de la perversion. Mais elle correspond à une affirmation poétique du surréalisme. Pour Annie Le Brun, qui reste la meilleure spécialiste du surréalisme, Hans Bellmer « nous révèle le processus par lequel le désir se fait inlassable inventeur de formes pour renaître des anagrammes d'un corps qu'il ne cesse de décomposer et de recomposer ». Cette œuvre, et les dessins superbes qui l’ont accompagnée, m’ont été révélée par une petite librairie « Le Labyrinthe » à Strasbourg, en plein centre-ville. On entrait par la rue de la Haute Montée, derrière l’Aubette, avec ses fresques de Hans Arp et Sophie Taüber. Puis, par une série d’escaliers et de caves on ressortait dans la rue Thomann. Il est resté longtemps une petite vitrine, accrochée à un pilier avec le nom de la librairie, ne fois cette dernière chassée vers la Krutenau pour des raisons économiques. C’est là que j’a découvert les surréalistes, et Boris Vian.
Dans la « Petite Anatomie de l’inconscient physique » ou « anatomie de l’image », qui date de 1957, Bellmer s’est analysé lui-même avec une très grande précision, s’introspectant et explorant son inconscient avec beaucoup de lucidité. Notamment pour ce qui concerne ses obsessions. Il utilise pour cela les expériences hallucinatoires de son ami le poète Joë Bousquet.
En exergue, une phrase de Paracesle, l’alchimiste « Le scorpion guérit le scorpion ». Tout est dit.
Le point central est ainsi défini. « Un pied féminin par exemple n'est réel que si le désir ne le prend pas fatalement pour un pied ».
Et il continue, en insistant sur le Je. « JE pense que les différents modes d’expression : pose, geste, acte, son, mot, graphisme, création d’objet…, résultent tous d’un même ensemble de mécanismes psycho-physiologiques, qu’ils obéissent tous à une même loi de naissance. L’expression élémentaire, celle qui n’a pas de but communicatif préconçu, est un réflexe ».
Toutes les parties du corps font office de suggestion du désir. « Dès que, par le geste intuitif du menton, l’analogie “sexe-épaule” est établie, les deux images entremêlent leurs contenus en se superposant, le sexe à l’aisselle, la jambe naturellement au bras, le pied à la main, les doigts de pied aux doigts. […] Main et dent, aisselle et sexe, talon et nez, bref : excitation virtuelle et excitation réelle se confondent en se superposant. […] On se demande si le plaisir du bras de simuler la jambe n’équivaut pas au plaisir de la jambe de jouer le rôle du bras, on se demande si la fausse identité établie entre bras et jambe, entre sexe et aisselle, entre œil et main, nez et talon, ne serait pas une réciprocité »
Il commente, entre autres, les obsessions qui ont présidé à l’élaboration de « la Poupée », sachant que sa représentation est en soi, tout autant désarticulée, et reconstruite.
Le secret érotique et amoureux qu’il dévoile consiste à voir et savoir que « une jambe n'est réelle que si on ne la prend pas fatalement pour une jambe ». Contre les mensonges et la misère du réalisme sexuel, Bellmer expérimente le pouvoir d'ébranlement de la pensée analogique, à « des fins de désoccultation passionnée ». Selon cette théorie, le champ du désir se fait en même temps moyen de connaissance. « Quand tout ce que l'homme n'est pas s'ajoute à l'homme, c'est alors qu'il semble être lui-même. Il semble exister, avec ses données les plus singulièrement individuelles, et indépendamment de soi-même, dans l'Univers ».
Tout ces jeux de miroirs, par antagonismes ou par ressemblances, ou encore par manipulation telles que les anagrammes résultent en fait d’une déconstruction / reconstruction d’un processus qui révèle essentiellement de la mémoire. « L’essentiel à retenir du monstrueux dictionnaire des analogies-antagonismes, qu’est le dictionnaire de l’image, c’est que tel détail, telle jambe, n’est perceptible, accessible à la mémoire et disponible, bref, n’est RÉEL, que si le désir ne le prend pas fatalement pour une jambe. L’objet identique à lui-même reste sans réalité »
En 1949, il réalise la seconde « Poupée », et en publie les photographies dans un ouvrage intitulé les Jeux de la poupée, accompagné de poèmes en prose de Paul Eluard.
« Faut-il en conclure que la plus violente comme la plus imperceptible modification réflexive du corps, de la figure, d'un membre, de la langue, d'un muscle, serait ainsi explicable comme tendance à désorienter, à dédoubler une douleur, à créer un centre 'virtuel' d’excitation ? Cela est certain et engage à concevoir la continuité désirable de notre vie expressive sous forme d'une suite de transports délibérants qui mènent du malaise à son image. L'expression, avec ce qu'elle comporte de plaisir, est une douleur déplacée, elle est une délivrance »
Puis en 1953, Hans Bellmer à 51 ans rencontre Unica Zürn alors âgée de 37 ans, qui va être séduite et enthousiasmée par les anagrammes, également déconstruction / reconstruction de la mémoire. Ce sera une période difficile comme en témoignent les écrits du quatuor que forment Zürn, Bellmer, Henri Michaux et le Docteur Ferdière. On lira pour cela le récit de Unica Zürn « Vacances à Maison Blanche » traduit par Ruth Henry (2000, Editions Joëlle Losfeld, 191 p.), les lettres de Hans Bellmer à Henri Michaux et autres documents dans « Pour Unica Zürn » (2009, Ypsilon, 88 p.), ainsi que les lettres échangées entre eux dans « Lettres au Docteur Ferdière » édité par Alain Chevrier (1994, Séguier, 146 p.).
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