Tu penses que beaucoup de gens t'aiment, mais plus nombreux encore sont ceux qui te haïssent. Ton sacrifice pour eux serait vain, car ils finiront par être éliminés quoi qu'il en soit. Toutes les espèces disparaissent. Dans ce vaste univers, les espèces ne comptent pas, seules comptent les oeuvres d'Art.
Lao Dao hésita, ne sachant où aller. La rue était quasiment vide, si bien qu'on pouvait le repérer facilement. Il se ferait tout autant remarquer dans un endroit public. Il aurait voulu retourner dans le parc, vite retrouver l'endroit du retournement, se reposer un peu dans un coin désert. Il était fatigué et n'osait pas dormir dans la rue. Voyant que les véhicules entraient sans s'arrêter, il tenta sa chance. Ce n'est qu'arrivé à la porte qu'il vit les deux petits robots de chaque côté et hésita. Les voitures et les piétons passaient sans problème, mais lorsque arriva son tour, les deux robots tournèrent leurs roues et avancèrent vers lui en émettant une série de bips stridents. Dans le silence de l'après-midi, le son semblait percer les tympans. Tous les regards convergèrent vers lui. Affolé, il se demanda si sa chemise peu présentable l'avait trahi. A voix basse, il tenta d'expliquer aux robots qu'il avait laissé sa veste à l'intérieur, mais les robots continuaient à faire rugir leur sirène et à clignoter la lampe rouge au-dessus de leur tête sans l'écouter. Dans le parc, les gens s'arrêtaient pour le regarder, comme on l'aurait fait d'un voleur ou d'un individu bizarre. Très vite, trois hommes surgirent du bâtiment à proximité et coururent vers lui. Au comble de l'angoisse, Lao Dao aurait voulu sortir, mais il était trop tard.
Extrait de la nouvelle "Pékin origami" (Prix Hugo 2016)
Dans ce cas, qu'est-ce qui l'a poussée à abandonner son agressivité pour se socialiser ? Les fêtes.
>> Elles n 'avaient pas de signification, au départ, elles marquaient simplement des repères temporels, mais elles amenaient l'ensemble de la communauté à pratiquer en même temps les mêmes rituels, à invoquer les mêmes voeux et à ressentir son appartenance à un même ensemble. C'est ce sentiment commun d'identification qui est à l'origine de la socialisation de l'humanité.
>> Mais à partir d'un certain temps, après que des observateurs d'autres planètes sont venus sur Terre, les fêtes ont commencé à disparaître. Au début personne ne s'en est aperçu. [...] les gens ont commencé à se déshumaniser, à négliger les relations interpersonnelles et à attacher encore moins d'importance à la notion de communauté. Les activité de groupe ont fini par disparaître, et les humains sont devenus des individus isolés et indifférents. Ils se sont repliés sur le réseau dans des mondes virtuels, pour échapper à l'angoisse due au manque de sentiment d'appartenance.
On finit toujours par rencontrer des circonstances devant lesquelles on se trouve démuni. C'est le destin : une situation qui vous apparaît clairement mais face à laquelle vous êtes impuissant. Vous ne pouvez alors que vous tourner vers votre solitude. La capacité de prendre soin de vous-même est alors déjà du courage, d'autant plus que votre ancien idéal s'écroule en même temps.
Le titre L'insondable profondeur de la solitude est tiré de l'impression que me font les romans ou nouvelles de SF. Ceux-ci imaginent un monde possible aux marges duquel vivent les humains, qui s'y sentent facilement étrangers et aliénés. Or le sentiment d'être hors du monde est le plus solitaire qui soit.
(Introduction)