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3.87/5 (sur 64 notes)

Nationalité : Canada
Né(e) à : Montréal , le 13/06/1912
Mort(e) à : Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier , 1943
Biographie :

Hector de Saint-Denys Garneau est un peintre et écrivain québécois.

Issu d'une famille aisée, Garneau grandit dans un milieu cultivé — il est l'arrière-petit-fils du historien François-Xavier Garneau (1809-1866). Il passera une partie de son enfance au manoir de sa famille à Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier en compagnie de sa cousine Anne Hébert.

Il s'établit à Montréal avec ses parents en 1923. La même année, il entreprend ses études classiques, qu'il poursuivra dans différentes institutions montréalaises (Collège Sainte-Marie, Collège Loyola et Collège Jean-de-Brébeuf) tout en suivant des cours de peinture au Collège des beaux-arts ; des problèmes de santé l'obligeront cependant à interrompre ses études en 1934.

En effet, à l’âge de 16 ans, il a contracté une fièvre rhumatismale causant des complications cardiaques. Quelques années plus tard, les médecins lui découvrent une lésion au cœur. Sa perception du monde change brutalement alors qu’il prend conscience de la fragilité de sa vie. Contraint d’interrompre définitivement ses études en philosophie, le jeune homme plonge dans l’abattement.

En 1934, il fonde la revue "La Relève" avec Robert Charbonneau, Robert Élie et Paul Beaulieu. Il n'a publié qu'un seul recueil de poèmes : Regards et jeux dans l'espace, en 1937, qui représente un tournant de la littérature québécoise, qui se bornait alors à une pâle imitation de la littérature française. Toutefois, ce recueil ne reçoit d'abord qu'un accueil mitigé, ce qui aura un effet négatif sur le moral de l'auteur. Il sera reconnu plus tard, après sa mort, comme un précurseur de la littérature moderne québécoise.

Il meurt à l'âge de 31 ans, dans la région de Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, au nord de Québec, où il habitait, dans des circonstances considérées comme énigmatiques. On admet toutefois que son décès serait dû à une crise cardiaque survenue pendant une promenade en canot. Il faisait alors escale sur la terre de Joseph-Louis Boucher pour tenter de surmonter un épuisement.

Son œuvre picturale ne sera redécouverte qu'en octobre 1993 à l'occasion du 50e anniversaire de la mort du poète. Depuis, plusieurs musées consacrent des expositions itinérantes à son œuvre.
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Saint-Denys GARNEAU – Biographie : 1912-1943 (FILM, 1960) Un film de Louis Portugais, écrit par Anne Hébert, produit par l’Office national du film du Canada.


Citations et extraits (89) Voir plus Ajouter une citation
Hector de Saint-Denys Garneau
Portrait

C’est un drôle d’enfant
C’est un oiseau
Il n’est plus là

Il s’agit de le trouver
De le chercher
Quand il est là

Il s’agit de ne pas lui faire peur
C’est un oiseau
C’est un colimaçon
 
 
Il ne regarde que pour vous embrasser
Autrement il ne sait pas quoi faire
                                                avec ses yeux
Où les poser
Il les tracasse comme un paysan sa casquette
 
Il lui faut aller vers vous
Et quand il s’arrête
Et s’il arrive
Il n’est plus là
 
Alors il faut le voir venir
Et l’aimer durant son voyage.
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Le Petit Homme Gris.

Devant sa librairie, en plein sous le rayon d'une lumière
électrique, le petit homme attendait son tramway. On pouvait voir
au cerne large et foncé entourant ses yeux qu'il avait dû soutenir
de longues veilles. Et pourtant il paraissait alerte ce soir-là et
semblait dire: " C'est maintenant que je vais leur montrer cela! "
En un mot, il avait l'air satisfait de lui-même, le petit homme
chétif d'une cinquantaine d'années qui attendait son tramway au
coin de la rue X et Amherst. Le tramway était presque désert à
cette heure. Il put s'y accommoder à son aise. Il enfonça dans une
banquette son petit corps fluet, renversa sa tête un peu en
arrière.
C'était une petite face blême, couleur d'eau brouillée, d'un gris
vert, avec des cheveux gris dépassant le chapeau abaissé sur des
yeux gris sous d'épais sourcils cendrés; ce que l'on peut voir de
plus gris comme ensemble. En effet cette tête n'avait pas grand
caractère; les yeux souriaient à ce moment mais sans finesse, le
nez était petit, la bouche commune, non sans fatuité et le menton
n'avait rien de remarquable.
Mais tout cela, tout ce petit bonhomme assis nonchalamment avait
l'air content de soi. Et ce n'était pas pour rien. Car pendant que
le tramway filait son train, le petit bonhomme faisait des rêves
de gloire. Il revoyait tous ses travaux, toutes ses peines, toutes
ses misères; tant de jours, tant de nuits passés à aligner des
strophes qui ne venaient pas toutes seules; il voyait tous ses
espoirs, toutes ses attentes, tout ce qu'il avait dû sacrifier de
temps et de santé pour faire ces vers qu'on lirait ce soir-là en
public. Car il était poète: d'autres en avaient douté, mais lui,
jamais! Il était marqué du signe céleste pour un des privilégiés
qui savent parler la langue des dieux. Oui pardi! Il l'était
poète! Et il se récitait mentalement quelques-unes des strophes
composées avec tant de labeur et qu'il aimait tant. Oui! Et ce
critique qui avait malmené les vers qu'il lui avait donné à
approuver, il aurait son compte, ce soir-là. Le petit bonhomme lui
avait composé un poème mordant qui le confondrait. Et le public
rirait du critique!
En pensant à cela, il regarda sa montre; sept heures et la séance
commençait à huit heures et demie: il serait là d'avance, verrait
à ce que tout soit bien, car c'était ce soir-là qu'il donnait la
première audition de ses œuvres.
Ses sourcils épais se froissaient de temps à autre car il en avait
bien quelque souci, le petit bonhomme, quelque inquiétude; c'est
toujours ainsi quand on sent que son sort va être décidé dans
quelques instants par le public. Si le public n'aimait pas ses
vers! C'est qu'il serait bien sot, bien borné. Mais non: c'était
impossible, car il avait de si beaux poèmes! Et le petit sourire
satisfait défroissait les sourcils et venait reprendre sa place au
coin droit de la bouche du petit bonhomme.
Il recommençait à rêver de ses vers. C'est qu'il avait ses idées
personnelles sur la poésie. Mallarmé, Claudel: des sots qui
écrivaient des choses qu'ils ne comprenaient pas eux-mêmes, qui
n'avaient pas de pensée et tâchaient d'en montrer en disant des
insipidités dépourvues de sens. C'est à leur intention, et il
l'avait marqué en toutes lettres dans le programme, qu'il avait
écrit cette petite pièce satirique intitulée: " Le sonnet
expliqué! " Une idée à lui! Et fine, quand on y pense!



La foule est dense: aussi se fait-il pitoyablement malmener, le
petit homme distrait en habit de soirée qui donne dans la foule
tête baissée et ne réussit pourtant pas beaucoup à avancer. Il est
si léger, si grêle, le petit homme, qu'il ne touche qu'à peine à
terre; la foule l'emporte. Il a l'air inquiet mais ne se décourage
pas. Il regarde souvent sa montre. Sept heures, sept heures et
deux, et trois, et cinq! Et le petit bonhomme se démène, coudoie
la foule qui tourbillonne et s'avance petit à petit, sous la
lumière diffuse, éblouissante de la rue.
Le petit homme a l'air inquiet, un peu mal à son aise dans son
habit de soirée. Son regard court nerveusement d'un objet à
l'autre, ses mains ne savent où se placer. Son front se ride, se
déride, sa bouche sourit et s'aigrit, ses sourcils s'agitent, ses
gros sourcils gris broussailleux; une perpétuelle grimace tantôt
gaie, tantôt triste, pleine d'incertitude et d'interrogation.
Il est décidément intrigant ce petit bonhomme. Sa tête est plutôt
petite, le front bombé, des yeux un peu affolés qui semblent
demander: " Où est-ce que je m'en vais donc? " Le nez est plat, la
bouche plutôt triste dans les coins. Le menton est arrondi,
délicatement, un peu féminin. L'ensemble de ce petit homme a
quelque chose .....



-La salle pas encore à moitié pleine! Et cela doit commencer dans
quinze minutes!
Le petit homme gris se démenait comme un possédé; il s'épongeait
le front avec son mouchoir de soie, il voulait paraître calme.
-C'est vrai que les gens n'arrivent guère un quart d'heure avant
la représentation. Mais pourtant!
Et il allait serrer la main aux arrivants, exhibait le programme,
parlait beaucoup, souvent à personne, et courait de droite et de
gauche, pimpant, aimable, souriant, allègre, sautillant, une vraie
mouche.
-Vous savez, deux jours pour préparer ce programme!
-Il est épatant.
-Croyez-vous?
-Je vous le dis.
-Nous avons travaillé. Mon Dieu! Pensez-vous, deux jours pour un
programme pareil!
-Cela se comprend, mais c'est réussi! Et vos vers imprimés dedans!
-C'est peu.
-Mais non! c'est tout.
-Tiens! je vais aller vous placer moi-même.
Puis pour les déclamateurs les recommandations pleuvaient.
-Vous, faites aussi bien qu'à la dernière séance préparatoire. Ce
geste que j'ai corrigé, ne l'oubliez pas.
Et pour un autre, c'était autre chose.



Les premiers arrivés attendaient depuis trois quarts d'heure quand
le président prit la parole pour présenter le Poète.
Puis le petit bonhomme gris lui-même lit la première pièce du
programme, cette fameuse épigramme contre le critique malotru. On
rit un peu moins qu'il n'espérait; dans le fond on murmure. Son
esprit était-il trop subtil pour l'auditoire? Enfin, si on
n'appréciait pas cette pièce, on aimerait mieux les autres. En
outre, c'était la première; on accueille rarement avec faveur une
première pièce, le public est tellement " snob "!
Mais le petit homme se trompait. À chaque morceau, l'auditoire
devenait moins attentif, plus moqueur. On riait à un poème
tragique et l'on ne riait pas à celui-là qui était comique.
Dans une saynète les acteurs oublièrent deux vers et le petit
bonhomme se récria, et demanda qu'ils retournent en arrière pour
les chercher.
La salle se vidait à vue d'œil et le murmure était continuel. Au
beau milieu de la séance le poète se leva, sortit de la salle et
alla trouver les déclamateurs.
-En voilà des belles: vous gâchez tout! Louis, ces deux vers, vous
les saviez pourtant à la dernière répétition. Qu'est-ce qui vous a
pris de les passer? Ne les trouviez-vous pas beaux?
-Ce n'est...
-Et vous, ce geste que je vous ai dit, vous l'avez raté et vous
parliez comme on dit de la prose. Mais ce sont des vers, des vers
que vous disiez. Ne réalisez-vous pas que c'est ma réputation que
vous déchirez, que c'est sur vous que je comptais et que vous ne
faites que des gaffes. C'est intolérable. Vous estropiez mes vers.
C'est pour le coup que le sourire satisfait au coin droit de la
bouche du petit bonhomme avait disparu et que ses sourcils épais
se fronçaient à faire peur. De long en large il arpentait
fébrilement et parlait tout haut.
-Mais vraiment, ce ne sont pas mes vers? Si c'étaient mes vers?
qu'on n'aime pas! Mais non, c'est impossible, c'est la façon de
les dire!
Et il recommençait ses vociférations:
-N'avez-vous pas d'honneur? Vous y mettez de la mauvaise volonté,
enfin. Ah! vous ne savez pas ce que vous me faites! vous ne savez
pas!
Soudain il s'arrêta: deux hommes parlaient non loin de lui. Ils
parlaient de ses vers.
-Ce ne sont pas des vers! Pas de facture, pas de pensée, rien! Des
réminiscences de lectures collées les unes aux autres, sans suite,
pas d'harmonie. Rien, rien! C'est idiot!
-Certes, il n'y a pas la moindre parcelle de poésie là-dedans;
c'est de la sottise, une toquade.



Le petit bonhomme était devenu plus pâle et l'on eût dit plus
frêle.
-Pas des vers, cela? Et si c'était vrai!
Il allongea le cou, ses yeux cherchèrent celui qui avait dit cela.
-Ah! Le grand critique X!
Et il se sauva épouvanté.
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Hector de Saint-Denys Garneau
Dans L'Autobus Du Village.

Le matin est transparent et le ciel est pâlement bleu jusqu'à la
fadeur; un matin de printemps qui sent encore l'hiver dans le vent
froid, où le gazouillis des oiseaux sonne comme un grelot, trop
clair dans l'air trop pur. L'eau du fleuve est d'acier sous le
soleil d'or pâle. Les lointains sont plus près à force de
limpidité. Le vent fait un bruit de pluie dans les feuilles mortes
qui gisent aux allées.
Je suis allé à la messe au prochain village. À la sortie, j'ai
avisé un autobus de campagne où je me suis installé. C'est une
antique Ford sonnant l'étain comme une casserole fêlée et qui
halète sur la route comme une vieille pouliche asthmatique. Peu à
peu s'installent les passagers, sur les deux banquettes qui se
font face. Une commère de village, la face olivâtre, plissée aux
yeux et à la bouche, jacasse sur les faits du jour inlassablement
avec le chauffeur. Un habitant à front mince, les yeux d'eau sale,
le nez longuement arrondi, tient entre deux rangées de dents
jaunes qui s'avancent en coin, une pipe à tuyau d'ambre d'où coule
la fumée poivrée du tabac brut. Une femme rondelette s'installe à
grande secousse. Elle a l'air bourgeois sous ses habits de bonne
qualité et de mauvais goût; elle a chapeau de paille bleu fleuri
en abondance, triple menton, joues pleines et de bon teint, nez
furet et yeux noirs en boutons de bottines à fleur de tête. La
jeune fille qui l'accompagne doit être sa fille: air de famille.
Elle est d'un bloc mal dégrossi comme la plupart des filles de
fermiers. Le chapeau de paille dont le bord avancé entoure son
visage d'une oreille à l'autre, tranche de son bleu noir sur le
teint gris d'une figure où l'on trouve une parfaite répétition des
boutons de bottines de la mère. Enfin deux farauds de village,
frais rasés, frais brossés, frais vernis, l'un d'air efféminé,
l'autre à mâchoire carrée, brutal sous sa casquette. Tous se
connaissent et la commère, un peu plus âgée que les autres, les
tutoie tous. Nous attendons.
-Qui qu'on attend?
-Le vieux Saint-Joseph.
Et tous de rire. J'ignorais le sens de cette boutade, mais je
n'étais pas loin de l'apprendre.
-Il doit être en train de prier saint Joseph.
-Non, affirma la commère, il est allé au magasin acheter une clef
de poêle. Il essaye probablement de marchander.
Nouveau rire général.
-Pourquoi pas partir et le laisser marcher?
-Il ne serait pas arrivé ce soir pour sa partie de dames.
Voici notre homme. Tous l'accueillent avec un sourire narquois et
entendu, où la commère met de la condescendance et les autres un
air de dire: " Nous allons nous amuser à ses dépens! "
-Y fait-y froid! énonce-t-il pour s'introduire dans la
conversation comme il s'installe là-bas.
La machine sile, se secoue, tousse, pète, grelotte et démarre
comme un hoquet.
Le bonhomme n'avait pas besoin de s'introduire dans la
conversation; d'elle-même, comme tous les regards, elle le prit
d'assaut à coups de questions narquoises.
-Oui, il fait trop froid pour que saint Joseph sorte aujourd'hui.
-Avez-vous bien prié saint Joseph? Est-ce qu'il vous exauce
toujours?
-Saint Joseph va toujours bien?
Et autres de même qualité.
Le bonhomme souriait d'un air scandalisé et de ne pouvoir
protester qu'inutilement. Il pouvait avoir soixante ans, un peu
courbé de rhumatisme, les cheveux gris. Son teint basané n'était
pourtant pas de bonasse santé, et là comme en ses traits
paraissait de la bile.
Il avait un nez cassé sous un front enfantin, le menton arrondi et
les lèvres minces, les joues un peu flasques et tourmentées à la
fois que d'un air bon enfant [sic]. Dans ses yeux enfoncés quoique
assez à la surface, se combattaient comme en toute sa physionomie
deux expressions opposées qui laissaient perplexe n'étant pas
successives mais simultanées. L'une était de candide bonne foi
avec ce quelque chose d'humblement bon qu'ont les dévotes,
personnes résignées à la volonté de Dieu. L'autre était aiguë dans
son avidité et d'une finesse hypocrite. Au demeurant, il n'y avait
pas que cela dans les yeux du " bonhomme Saint-Joseph ". En eux
luisait aussi une étincelle ardente dès qu'il s'agissait de ces
deux choses bien différentes, la dévotion et le pécule.
-Êtes-vous des chrétiens, vous autres, disait le bonhomme? Qui
est-ce qui vient avec moi au pèlerinage à saint Joseph, demain?
-Si vous payez le trajet, on ira, laissa passer en fumée à côté de
sa pipe le bonhomme à babines de lièvre.
-Ça fait mal au ventre de payer quand on n'a pas d'argent,
repartit le vieux d'un air souffreteux.
Chacun regarda son voisin du coin de l'œil d'un air entendu. En
effet, ces paroles contrastaient assez avec la mise fort
convenable du bonhomme.
-Vous venez d'acheter une clef de poêle?
-Oui, j'ai payé vingt sous pour ça.
-C'est pas cher.
-Assez cher. Mais il y a une chose qu'on reçoit sans payer, c'est
le ciel. On obtient ça avec des prières.
Et son regard brillait de conviction et semblait vouloir
convaincre ses compagnons.
Un des farauds objecta:
-Le ciel c'est pas pour tout de suite.
Et la commère ayant fermé les yeux pour aiguiser son dard sourit
par prévoyance et gazouilla:
-En effet, vous pouvez pas acheter une clef de poêle avec des
prières.
Tout le monde rit, de ce rire plus animal qu'humain, des gens sans
esprit en même temps que sans pitié, pour qui le vice n'a pas
d'amertume et qui se moquent d'un boiteux ou d'un chien blessé.
Le bonhomme feignit de ne pas comprendre que ce rire s'adressait à
lui. S'approchant de son voisin, il lui tapa sur le genou.
-Priez saint Joseph, priez saint Joseph. C'est en priant qu'on
gagne le ciel.
Et il se mit à fredonner un cantique de sa voix chevrotante: Bon
saint Joseph, Bon saint Joseph...
J'étais rendu, je descendis. L'autobus se secoua, toussa, péta et
démarra comme un hoquet.

de St-Denys Garneau,
ce jeudi, 5 mai 1932, Woodlands.
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CAGE D'OISEAU

Je suis une cage d'oiseau
Une cage d'os
Avec un oiseau

L'oiseau dans ma cage d'os
C'est la mort qui fait son nid

Lorsque rien n'arrive
On entend froisser ses ailes

Et quand on a ri beaucoup
Si l'on cesse tout à coup
On l'entend qui roucoule
Au fond
Comme un grelot

C'est un oiseau tenu captif
La mort dans ma cage d'os

Voudrait-il pas s'envoler
Est-ce vous qui le retiendrez
Est-ce moi

Il ne pourra s'en aller
Qu'après avoir tout mangé
Mon cœur
La source du sang
Avec la vie dedans

Il aura mon âme au bec.

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Conte Canadien.

-Et qui est-ce qui demeure ici? dis-je en désignant une maison.
-Ici, c'est enne dame Langlais. Mais vous saurez, monsieur, qu'a
est anglais rien qu' de nom: en effette, a pas p'en toute parler
l'anglais.
J'étais en voiture et nous trottions sur la route sablonneuse du
cinquième rang de la paroisse de Ste-Catherine, par un chaud
après-midi d'août. Mon conducteur était un vieil habitant qui
avait été au service de notre famille depuis le temps où mon
arrière-grand-père était seigneur de la contrée. Il n'était pas
jeune, le bonhomme. Il avait soixante-huit ans; mais il ne les
paraissait pas. C'était un de ces vieux, bien canadiens, encore
superstitieux et qui savait un tas d'histoires dont plusieurs
étaient fort jolies. Il était sec, de taille moyenne, la figure
osseuse, avec des yeux un peu creux mais fins et rieurs, qui
brillaient sous des sourcils épais en broussaille; il avait de
grandes moustaches brunes et des cheveux bruns malgré son âge. Il
disait fièrement: " J'ai promené quatre générations de votre
famille. " Et c'était la même voiture qui avait promené tout ce
monde-là! C'est vous dire qu'elle n'était pas belle et pas très
solide non plus, la voiture de Moïse Robitaille, où je me trouvais
assis à la même place que, jadis, le seigneur de Fossambault. On
lui entendait parfois des craquements inquiétants. Mais ce n'était
plus la même " jument érable " qui nous tirait, cette fameuse "
Puce " qui avait éternellement dix-huit ans et qui était morte, il
y a déjà longtemps, de vieillesse (à dix-huit ans!). C'était "
Cocq " ou " Boy " ou... je ne sais plus; toujours est-il qu'il
avait une kyrielle de noms. C'était un bon cheval, déjà pas trop
jeune, lui non plus, mais qui tirait bon. Il roulait le buggy,
tirait la charrue, la faucheuse, la racleuse, traînait les arbres,
en hiver; il était, pourrait-on dire, de tous les métiers. Et, il
nous tirait, cet après-midi-là, sur le chemin de sable, un peu
caillouteux par endroits, qui avait longé la jolie rivière
Jacques-Cartier et qui montait maintenant un coteau où il y avait
de place en place, des maisons de fermiers avec leurs bâtiments
pour des bêtes, et autour, des champs de blé ou de légumes. Et le
bonhomme me disait sur ma demande qui demeurait ici et à qui
appartenait ce champ-là, tout en racontant des histoires sur
celui-ci et disant que cet autre était parent de " Chose " qui
demeurait au village. En passant près d'un champ, j'y vis les
fondements d'une maison dont il ne restait plus que la base de
pierre et une partie de cave creusée dans la terre.
-Y a-t-il longtemps que ça a passé au feu?, dis-je indifféremment.
-Ç'a pas passé au feu p'en toûte, me répondit Moïse. C't'enne
grange qu'on a démolie et on a ben faite itou. D'abord a sarvait
pu à rgnien, rapport qu'a était trop vieille. Épi, à port ça, a
était antée! Vous savez ben, c'que j'veux dire: y avait des
r'venants qui y m'naient du vacarme, le soir. C'est vrai ça, qu'y
a rien de plus véridique. Moi-même, j'y ai entendu du bruit, et
chu toujou pâs peureux.
Il laissa les " cordeaux " glisser un peu et le cheval se mit au
pas. Le vieux alluma sa pipe en bavant. Et je me disais: " Voici
une histoire. " Elle s'en venait en effet. Quand il eut fini
d'allumer sa pipe, il me dit:
-Y a dix ans qu'y ont démoi c'te cabane-là. Avant ça, a était
antée comme j'ai dit. Et y avait pas un homme qui serait passé
près, tout seul, le soir. Quand on était en voiture, on donnait un
coup de fouette au joual pour passer ben vîte. Quand qu'on était à
pied on faisait enne grande écartée dans le champ de l'aut'bord,
pou pâs passer près. Y avait ben des jeunesses qui voulaient faire
les braves et qui passaient devant mais y prenaient leu' jambes
quand qu'y-s-entendaient des bruits de chaînes et qu'y voyaient
des lumières rouges à travers les fentes. Y en a qu'ont vu enne
forme blanche passer la tête à travers la grand'porte, en haut. Y
avait un gas qui voulait faire le faraud et qui avait dit qu'y
irait coucher, lui, tout seu dans a grange. Vous pensez si
tout'monde s'moquait d'lui et qu'on y racontait des histoires pou
y donner la chair de poule. Mais y était ben trop fier pou dire
qu'y irait pas. C'tait un beau garçon qu'avait été en ville, dans
le grand Morrial pendant deux ans et y croyait pas aux revenants,
qu'y disait. Si ben qu'un soir, tout le monde avait été le voir
entrer dans la grange et qu'on était toute revenus veiller chez
l'bonhomme Juneau, vous savez ben, m'sieu, celui qui s'était toûte
brûlé les " soucisses " dans enne explosion qu'y avait eu en
mettant de l'huile de charbon dans son poêle. Épi les créâtures
parlaient ben du gas: y disaient qu'y était ben brave pou aller là
tout seu. Épi, moué, j'm'en r'venais d'enne veillée cheu z'un
d'mes frères, dans a maison blanche qu'on a passée, betô. Y était
pas mal tard parce qu'on avait raconté ben des histoires, et qu'on
avait bu d'la bonn' bière d'épinette: y était minuit et cinq;
quand tout d'in coup (y faisait un beau clair de lune), j'vois
queuque chose de noir sortir en courant de la grange et continuer
à l'épouvante su le ch'min, passer devant la maison où j'étais,
qu'est pas mal loin de la grange, comme vous savez, et continuer
toujours comme si y avait le diable à ses trousses. Ma jument
était attelée (c'est ma jument " érable " qu'j'avais dans c'temps-
là). J'saute dans ma voiture et j'fais partir la bête. Quand le
gas a entendu du bruit qui s'rapprochait de lui par derrière,
j'cré qu'y a failli timber de peur: y osait pas se r'tourner et y
courait encore plus fort. Arrivé à côté de lui, je lui criai de
pas avoir peur, que c'était moué et malgré sa nerfosité y me
r'connut. Je l'fis monter dans ma voiture. Y tremblait comme enne
feuille de tremble, l'pauv'garçon. Je lui demandai comment c'était
dans a grange. Y a pas voulu rien m'dire, mais j'savais ben qu'y
avait vu des drôles de choses et que les r'venants avaient été y
faire visite. Chez Juneau, on a ben crié après l'gas mais j'ai
passé vite. Après ça on a ben ri d'lui, au village, et trois ans
après, on a démoli a bâtisse. Pourtant, les r'venants, par le
temps qui court ne l'ont pas encore abandonnée et, l'aut'soir
encore, " Ti-Chou " mon fils que vous connaissez et qu'est ben
smatte, y a vu des " fifollets " qui rôdaient autour des vieilles
pierres... Vous savez, " Ti-Chou " est ben agile; y connaît ben es
machines. Y a eu enne p'tite auto épi, y est si agile, qu'y défait
toûte le moteur, qu'y met ça dans un tas épi il l'arrange toûte de
renouveau!
Sans nous en douter, nous avions tourné la route du cinquième
rang, nous avions traversé le village, le pont et nous nous
trouvions au pied de l'allée qui montait au " manoir " qu'avait
habité le seigneur Duchesnay et que mes parents habitaient
maintenant. Nous le voyions au haut de la petite butte verte, le
Manoir en pierre rose, entouré de grands arbres, de hauts pins
foncés et sombres. Je dis à Moïse:
-Laissez-moi ici; je monterai chez moi à pied. Venez me chercher
demain à trois heures; il faut que j'aille voir un ami au lac.
Bonjour Moïse.
-Bonjour monsieur. Merci.
Et il était parti, avait disparu de l'autre côté du petit pont, le
vieux bonhomme, avec son vieux cheval et sa très vieille voiture.

Ce mercredi 23 janvier 1929,
de St-Denys Garneau.













Dans Le Tramway.

J'aurais voulu rire dans ma barbe mais je me suis aperçu que je
n'en avais pas et j'ai failli rire à découvert devant tous les
passagers du tramway, et passer pour un fou; il se peut fort bien
que je sois fou et j'en suis moi-même convaincu, mais je ne
trouvais aucune nécessité à l'afficher devant tout le monde en
riant tout seul. Un monsieur venait d'entrer. Il portait des
paquets qui semblaient fort embarrassants. C'était un monsieur
d'une trentaine d'années avec une face rose et réjouie. Il
s'assit, regarda son voisin d'un air des plus aimables, puis
s'enfonça un peu dans son siège, renversa sa tête en arrière et
ferma les yeux en gardant sur ses lèvres un sourire béat sur
lequel je m'étonnais et qui provoquait chez moi cette folle envie
de rire. Il gardait la bouche entr'ouverte, peut-être pour montrer
quelques belles dents d'or qui l'ornaient. Il avait l'air d'un
bébé innocent qui s'endort; il ouvrait de temps en temps les yeux
et souriait à droite et à gauche et se préparait de nouveau à
dormir son sommeil de chérubin. Le tramway s'emplissait et je me
levai pour offrir mon siège à une bonne dame. Après avoir changé
de place plusieurs fois, je me trouvai debout devant une dame
d'âme mûr et deux jeunes filles d'environ vingt-cinq ans. Ces
demoiselles m'apprirent que " Chose " allait se marier deux fois.
On le lui avait dit en la tirant aux cartes. " Nous verrons si
cela va arriver ", disaient-elles et je croyais qu'en effet, avant
de le croire, elles feraient bien mieux de voir s'il en serait
ainsi. " Il doit y avoir un malheur qui nous attend. Imagine-toi,
ma chère enfant! que nous sommes trois de la maison qui avons rêvé
à la mort la nuit dernière. J'ai rêvé que papa est mort. Jeanne a
rêvé que Jacques se mourait et Machin a rêvé qu'un autre allait
mourir! Vous verrez. On m'a dit depuis qu'il arrive toujours le
contraire de ce qu'on rêve ", et j'ai trouvé ceci encore plus
absurde. D'abord, qu'est-ce que le contraire d'un événement? Est-
ce le fait que cet événement n'arrive pas? En ce cas je suis fort
de cet avis, car ce qu'on rêve n'arrive que rarement et par pure
coïncidence.
Un cri troubla la profondeur de mes pensées. Je me retournai!
C'était une petite vieille d'environ quatre pieds de haut qui,
dans la foule, se trouvait prise, écrasée à en étouffer entre deux
messieurs pas polis. Et elle s'écriait: " Stop that! " avec une
voix en détresse qu
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Le jeu

Ne me dérangez pas je suis profondément occupé


Un enfant est en train de bâtir un village
C'est une ville, un comté
Et qui sait
Tantôt l'univers.

Il joue

Ces cubes de bois sont des maisons qu'il déplace et
des châteaux
Cette planche fait signe d'un toit qui penche ça n'est pas mal
à voir
Ce n'est pas peu de savoir où va tourner la route de cartes
Ce pourrait changer complètement le cours de la rivière
À cause du pont qui fait un si beau mirage dans l'eau du tapis
C'est facile d'avoir un grand arbre
Et de mettre au-dessous une montagne pour qu'il soit en haut.

Joie de jouer! paradis des libertés!
Et surtout n'allez pas mettre un pied dans la chambre
On ne sait jamais ce qui peut être dans ce coin
Et si vous n'allez pas écraser la plus chère des fleurs invisibles
Voilà ma boîte à jouets
Pleine de mots pour faire de merveilleux enlacements
Les allier séparer marier
Déroulements tantôt de danse
Et tout à l'heure le clair éclat du rire
Qu'on croyait perdu
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Hector de Saint-Denys Garneau

Un Vent Aigre.

Un vent aigre soufflait sans parvenir à balayer le ciel de cette
grisaille monotone qu'on eût dite immobile, tendue entre tous les
horizons. Le collet relevé, les mains dans les poches, deux hommes
se promenaient au bord du petit lac de Ste-Adèle.
Le pianiste Louis Bertrand était de taille moyenne; un peu gauche
dans sa démarche, il paraissait plutôt frêle. Sa figure, d'un
teint maladif, était forte de traits, front large, inégal, yeux
très grands auxquels de larges cernes bruns donnaient plus encore
de profondeur, lèvres épaisses, passionnées, menton fort. Une
mélancolie douce émanait de cette physionomie, et ses yeux
reflétaient des flammes profondes.
La pipe au bec, la tête légèrement renversée, les yeux entrouverts
seulement, Jean Simon marchait avec cette assurance souple que
donne l'habitude des bois et des campagnes. Plutôt grand, sec et
nerveux, on lui devinait des muscles durs. Ses traits étaient
petits, distingués, dans une figure presque décharnée. Le front
haut, était tourmenté. Les yeux, brun foncé, étaient brillants, à
certains moments surtout, enfoncés au ras de sourcils noirs. Le
nez fin aux narines sensuelles, avait quelque chose
d'aristocratique. En correspondance avec le front et les yeux, la
bouche avait dans son amertume, quelque chose de tourmenté. La
lèvre supérieure mince indiquait de la hauteur et l'autre, plus
épaisse, un peu lâche correspondait à la sensualité des narines.
La fermeté du menton, plutôt petit mais avancé, donnait à la
figure une teinte d'énergie nerveuse et emportée. Figure
intéressante, en somme, qui eût frisé la féminité par sa petitesse
fine, sans cette dureté, ce défini un peu anguleux des traits.
Cette physionomie mobile conservait à travers tous ses aspects,
dans son morne et dans son enthousiasme, une atmosphère générale
d'avidité morbide, qui transparaissait dans l'éclat des yeux, et
dont la bouche déçue était comme un effet.
Louis Bertrand et Jean Simon s'étaient connus au collège. Leur
goût commun pour l'art les avait fait se lier d'une amitié, plutôt
intellectuelle, mais solide.
Ils marchaient, ce jour-là, en silence, comme d'habitude un peu
séparés, comme sont les hommes quand ce n'est pas le cœur qui les
unit profondément. Bertrand avait l'air absent, occupé ailleurs.
Simon, un peu soucieux, laissait errer un regard aigu, mais ne
semblait qu'à moitié occupé de ce qu'il voyait. Chacun était
renfermé en soi-même; cela se voyait à leur conversation où il y
avait peu de reparties; c'étaient presque des soliloques assez
prolongés suivis de longs silences.
Après que tous deux se fussent arrêtés pour écouter, Simon ouvrit
la bouche pour parler. Mais Bertrand le devança. Évidemment, la
même chose les avait frappés.
-Tiens, la glace craque. Avez-vous jamais prêté attention à ce
bruit-là?
-Oui, c'est charmant... oui, plusieurs fois, et celle-ci entre
autres que je me rappelle tout à coup comme si c'était hier.
J'étais allé à la campagne me reposer et peindre un peu quelques
aspects d'une région que j'aimais et que je voulais connaître sous
l'hiver. J'habitais chez un couple de bonnes gens, à Ste-
Catherine. À vrai dire, la température avait été peu favorable à
mes projets de peinture. J'étais à peine arrivé depuis quelques
jours quand une pluie abondante se mit à tomber presque
continuellement, quoique nous fussions en plein cœur de janvier.
Vers le seize, le temps se claira, et nous eûmes un beau froid
sec. La nature cependant avait changé, les champs étaient aux
trois quarts dénués de neige. Après une partie de cartes chez un
habitant du voisinage, je revenais me coucher. La pureté du clair
de lune me tenta, et je décidai de marcher quelques moments avant
de me mettre au lit. J'entrai me vêtir un peu plus chaudement et
je dirigeai mes pas vers une butte à laquelle aboutissaient
souvent mes promenades solitaires. De là, j'avais sous les yeux
l'immense vallée où coule la rivière Jacques-Cartier, et je voyais
tout autour les horizons se fermer au loin par les montagnes,
premiers contreforts des Laurentides. Ce soir-là, le ciel était
merveilleusement pur, partant d'un bleu profond au zénith pour
aboutir à une consistance un peu laiteuse au ras des montagnes. Un
croissant de lune luisait d'un rare éclat; les étoiles étaient
rares mais belles. Il faisait un de ces silences qu'on ne trouve
qu'en hiver, silences qui ont comme une consistance, qui semblent
solides, et où, plus que jamais ailleurs, le moindre bruit a une
grande répercussion et prend une valeur étrange. La lune éclairait
distinctement toute la vallée, et les champs, les masses noires
des forêts, se succédaient jusqu'au pastel des montagnes plus
lointaines. La rivière surtout, miroir de glace, était tout à fait
définie et je la suivais des yeux jusqu'où elle disparaissait dans
ses détours. La pluie avait rempli ses réservoirs et elle
commençait à monter assez considérablement. Je m'arrêtai et prêtai
l'oreille. La glace craquait, comme aujourd'hui, je suppose, mais
avec ce plus de netteté, cette augmentation de sonorité que lui
donnait le silence et, c'est étrange à dire, la pâleur de la
lumière. Tantôt, c'était un craquement sourd, une cassure
profonde, presque toujours suivie de petites détonations sèches
qui passaient en descendant le courant. Tantôt, c'était un
crépitement sonore, une sorte de fusillade. Toujours, cela
descendait le courant. Je m'amusais à suivre en imagination les
cassures dans la glace et à les localiser d'après les sons. Les
répercussions étaient sourdes parfois, parfois claires, tantôt
c'était sec et cassant, tantôt lourd. Cela ressemblait un peu au
bruit que fait un fond bossé de chaudière quand on pèse dessus,
puis qu'il revient.
Je serais demeuré là longtemps, si ce n'est que le froid me força
d'entrer. Je trouvai mes hôtes à genoux dans la cuisine, qui
disaient leur chapelet. Je montai doucement, sans les déranger.
Ç'avait été une belle soirée... et un séjour charmant. Oui, c'est
joli, ce bruit, j'aime beaucoup cela. Là, avez-vous entendu, comme
c'était profond, ce coup-là?

Ste-Catherine -Ce samedi, 16 janvier 1932.
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Hector de Saint-Denys Garneau
Terreur.

Nous avions loué pour passer quinze jours à la campagne, une
petite maison. Nous descendions du train et une voiture attelée
d'une rossinante osseuse nous transportait durant les quelques
milles qu'il nous restait à parcourir entre la gare et notre
habitation.
Le soleil déclinait lentement et faisait violettes les montagnes
que son disque touchait déjà. Le paysage était charmant et mes
regards s'y attardaient avec beaucoup de plaisir.
-Quelle température merveilleuse! dis-je en m'adressant au cocher
barbu qui nous conduisait.
-Oui monsieur! Mais ça ne durera pas longtemps. On va avoir du
gros vent et une grosse ondée.
Son doigt me désignait l'est. En effet, par-dessus la montagne
lointaine se dessinait une épaisse ligne de nuages. Le dessus
flamboyait des rayons obliques du soleil, mais le dessous noir
était peu rassurant.
Cependant nous arrivions. Une montée sombre entre deux haies de
hauts sapins conduisait à un joli chalet de bois assis sur une
colline. De grands pins noirs le couvraient de leurs bras chenus.
Ce coin était charmant dans le crépuscule naissant où les contours
s'estompaient dans le mauve.
Arrivé là je parcourus un peu les alentours. En bas, en avant, le
chemin du village passait. Près d'un quart de mille de bosquets
nous séparait des premières habitations. Derrière notre maison,
après un pli du terrain, gisait le cimetière comme barbelé par les
petites croix noires ou blanches qui se hérissaient parmi l'herbe
haute; quelques monuments plus élevés se découpaient contre le
ciel.
Je m'en revins. Après le souper nous allâmes chacun voir notre
chambre et nous y accommoder pour la nuit. La mienne, au second,
était vaste et nue. Un lit et une chaise composaient le mobilier
rudimentaire. De grosses poutres traversaient le plafond et le mur
de planches brutes n'était orné d'aucune image.
Un ami, avec sa femme, couchait dans une chambre sous la mienne.
De l'autre côté d'un corridor étroit, une servante avait été
logée. De bonne heure nous nous mîmes au lit car l'air vif nous
avait donné sommeil. Les lampes éteintes tout demeura silencieux
et je m'endormis.
Je m'éveillai soudain. Ma chambre s'illuminait par intervalles
rapprochés, de grandes lueurs blafardes. Ma fenêtre s'allumait à
de vifs éclairs. Les vitres s'ébranlaient aux sourds roulements du
tonnerre et sous la poussée du vent qu'on entendait siffler
éperdument dans les branches des grands pins qui venaient frapper
le toit en se tordant dans l'orage. La maison craquait toute sous
l'effort de la tempête. Les éclairs illuminaient sinistrement le
cimetière échevelé où les croix noires étaient horribles à voir.
Sous moi j'entendais une respiration haletante.
-Jean! Jean! chuchotait la femme en secouant son mari.
Celui-ci après un profond soupir répondait d'une voix encore mal
éveillée:
-Qu'est-ce que tu veux?
-J'ai peur!
-Peur de quoi?
-De... de... des morts!
-Tu es folle! Dors sur tes deux oreilles. Il n'y a pas de morts
ici!
-Oui Jean. Le cimetière, là-bas!
-Laisse-moi dormir.
Le sommier craque; il s'est retourné.
-Je sens qu'il y a quelque chose.
-Mais non, non!
La tempête se démène dehors dans toute sa furie. Soudain un éclair
gigantesque éclaire toute ma chambre et là, près de la porte, dans
la pénombre une forme en blanc est immobile, indécise comme un
fantôme; son immobilité la rend terrible.
-Ah! dis-je.
Et je reste cloué à mon lit, incapable de crier, de faire un
mouvement quand un cri sinistre, un cri de femme horrifiée, un cri
strident, long, aigu, presque un hurlement, retentit dans le
fracas de l'orage. Un autre cri lui répond, aussi horrible, aussi
poignant. C'est une diablerie inconcevable. Le fantôme blanc bat
des mains et s'effondre comme une masse. Les cris cessent
subitement et ce n'est plus que l'orage qui siffle et l'éclair qui
illumine le cimetière effroyablement.
Je reste là, cloué à mon lit, les yeux hagards, la bouche
entrouverte, les dents me claquent dans la bouche, une sueur
froide coule le long de mon épiderme!
Je ferme les yeux et un tremblement nerveux s'empare de tout mon
être.
Tout à coup j'entends que l'on m'appelle. J'ouvre les yeux. Jean
est à genoux près de ma porte avec une lampe.
-Va chercher du cognac dans ma valise, à droite. Elle a perdu
connaissance.
-Qui, elle?
-La servante, mon Dieu. Dépêche-toi!

de St-Denys Garneau
Ce vendredi 28 mars 1930
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Hector de Saint-Denys Garneau
La Barrique De Bière.

Maître Gaston Larose fut appelé à embaumer un mort dans les temps
chauds d'une fin de juillet. Le voilà qui se met en chemin avec
deux assistants, après avoir bu quelques bonnes rasades de cidre.
Ils arrivent et on les enferme dans la chambre du mort. Il fait
chaud, terriblement: ces messieurs se boucheraient le nez s'il
n'avaient pris cette bonne rasade avant de partir. Mais rien ne
les occupe plus maintenant que leur devoir. Monsieur le défunt qui
sent un peu fort en cette triste circonstance est un gros
bourgeois de deux cent cinquante livres environ, bedonnant au
possible.
On se met à l'ouvrage. Il faut le bien arranger pour le conserver
deux jours de plus, pour un voyage, son dernier avant celui du
cimetière, jusqu'à la prochaine ville. Maître Larose prend une
décision énergique. Pour le conserver ainsi il faut absolument
dégonfler le gros bedon de Monsieur de son triste contenu. Voilà!
c'est terminé. Mais Maître Larose en étant énergique ne fut guère
prévoyant. Il va falloir remplir le ventre de Monsieur et Maître
Larose n'a rien pour ce faire. Il a beau chercher, regarder
partout, il ne trouve rien! Personne ne peut sortir de cette
chambre, sans occasionner une irruption de parents qui leur
tomberaient dessus en coups de bâton en voyant le pauvre mort si
terriblement maigri, lui qui avait l'air si bien portant avec son
bedon gonflé. Et Maître Larose, pas plus que ses assistants, n'est
prêt à envisager une bastonnade, malgré leur bonne rasade d'avant
le départ. Or, l'œil exercé de l'entrepreneur découvre dans le
coin de la chambre une toute petite, toute mignonne barrique de
bière, rebondie, bedonnante, et toute petite, toute mignonne. On
frappe sur la barrique, elle est pleine. L'affaire est décidée.
Nos trois tristes hommes débouchent la barrique et en boivent avec
volupté le contenu. Cette opération terminée après une demi-heure,
une autre commence. On regonfle le ventre de Monsieur avec la
barrique toute mignonne et quelques morceaux de draps enlevés au
lit, ce qui redonne à Monsieur son bon air de santé. La cérémonie
achevée on se disperse.
Voilà pourquoi le bon gros Jean quand il est venu chez sa tante,
femme du défunt, pour réclamer sa petite, toute petite, toute
mignonne barrique bedonnante, emplie de bonne bière, qu'il avait
laissée là pour qu'on la garde quelques jours parce qu'il allait
acheter une maison nouvelle, voilà pourquoi le bon gros Jean eut
beau chercher partout, il ne retrouva jamais sa gentille barrique.
Car il n'eut jamais eu l'idée de la chercher où elle était: encore
il l'eût trouvée vide.

de St-Denys Garneau,
Ce dimanche 25 mai 1930.
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Hector de Saint-Denys Garneau
Le Paquet De L'Oncle Alfred.

-Jeanne, ma petite Jeannette, monte t'habiller. Ton oncle Alfred
vient dîner avec nous. Il faut que tu sois belle.
-Oh! l'oncle aux bonbons!
Et en disant cela, Jeannette avait presque envie de se passer la
langue sur les lèvres dans un mouvement de petite gourmande
qu'elle était. Jeanne la jolie petite fille de sept ans s'en va en
dansant pour se faire habiller de sa plus gentille robe rose ornée
de fleurettes lilas. Et, tout le temps qu'on l'habille, elle a
l'oreille tendue, attendant impatiemment les deux gros coups de
cloche bourrus du bon oncle Alfred.
À peine le dernier ruban attaché, la dernière frisette tournée à
droite ou à gauche, voilà le coup de clochette! Jeannette
dégringole l'escalier quatre à quatre et se jette dans les bras de
l'oncle tout embarrassé de son parapluie et d'une grosse boîte
carrée, bien enveloppée. Après quelques bons bécots, l'oncle
Alfred, tout essoufflé d'un pareil accueil, dépose son parapluie
dans le vestibule, le paquet carré sur la corniche de la cheminée.
Le dîner sonné, tout le monde se met à table.
C'est si long un dîner! Surtout celui-ci pour la petite Jeannette
qui se penche de temps en temps et de plus en plus souvent pour
regarder avec des yeux grands de convoitise, la boîte enveloppée
sur la corniche de la cheminée.
C'est si bon des chocolats! Comme elle est gourmande, la petite
Jeannette ne tient plus guère sur sa chaise. Elle se mord les
lèvres, tâche de s'occuper d'autre chose, mais rien n'y fait: ses
yeux reviennent toujours vers la corniche de la cheminée, comme
attirés par un aimant.
Enfin, l'interminable repas est terminé! On revient au salon en
fumant une cigarette. L'oncle Alfred a pris Jeannette sur ses
genoux; il lui parle de ses poupées, mais elle est distraite, ne
répond qu'évasivement. Machinalement, l'oncle dirige son regard du
même côté que celui de sa nièce.
-Tiens, ça m'y fait penser! Va donc me chercher le paquet sur la
corniche.
Jeannette jubile: c'est à peine si elle peut contenir un cri de
joie. Sautillante, elle s'est approchée de la cheminée. En se
haussant sur le bout de ses petits pieds, elle parvient à tirer la
boîte tant convoitée. Elle la rapporte à son oncle en baissant les
yeux parce que ça la gêne un peu.
-Demande à ton père d'ouvrir ce paquet, ma petite, dit l'oncle en
donnant une petite tape amicale sur la joue de Jeannette qui
s'empresse d'aller porter le paquet à son père. Sur le bout de ses
pieds, le cou tendu en avant, les yeux brillants, elle regarde
anxieusement son papa qui ouvre le paquet.
-Tiens! Ah!... des cigares!

de St-Denys Garneau,
[fin mars 1930]
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