Citations de Henri Sigayret (49)
Je rêvais de solitude, je rêve encore de solitude.
Je découvre l'intense plaisir de marcher sur des terres difficiles parfois mais surtout désertes.
Amusante appellation pour ces lames de calcaire verticales qui se font caresser, piétiner, étreindre, ramoner, chevaucher, acuponcturer quand est venu le temps des pitons, des milliers de fois par des cohortes de mâles encordés ou solitaires, en chaleur ou frigorifiés. Les Pucelles!
Je ne veux pas me mesurer aux autres mais à moi-même.
Les roches sur lesquelles vivent les individus, ont-elles une influence sur la nature de ces individus? Une mère née sur un sol granitique, un père né sur un sol calcaire, quelle roche domine en moi? Grimpeur, j'ai toujours préféré le granit.
La mer, cette mer toujours recommencée, comme elle est vivante, que dit-elle dans ses murmures et ses grondements de molécules entrechoquées?
Des champignons, j'en cueillerai aussi dans le Khumbu, au pied de Sagarmatha-Everest, à plus de 4200 mètres d'altitude, je ramasserai là de rares girolles, de minuscules et non moins rares lactaires délicieux, mais aussi de grandes quantités de bolets.
Je découvrais la stratification sociale. Il y avait des très riches, des riches, des classes moyennes, des pauvres, des misérables. La patrilinéarité, bien que moins marquée que dans l'hindouisme était présente. L'appartenance à un clan se transmettant par l'homme. L'homme c'est le ru, l'os, la femme n'est que la chair putrescible sha. L'importance de ces clans était toujours présente. Mon beau-frère Mingmar s'était vu refuser une jeune fille parce que le père de cette fille avait jugé que son clan, celui des Rong Sherwa était un clan inférieur.
En ces temps de pruderie excessive, voir une paire de seins à l'air libre etait chose exceptionnelle.
Aujourd'hui, alors que je vois plus clair en moi, je me demande si c'est le plaisir de la marche ou la totale solitude qui me faisaient aimer ces lieux. Je trotte des heures et des heures sur des crêtes de roches blanches, riches en arêtes aiguës. Mini-lapiaz dont le calcaire est rongé par les pluies et le sable projeté par la tramontane. Des ronces griffent mes mollets, j'adore ces marches et c'est parce que je les aime que je ne suis jamais fatigué.
Mon grand-père maternel, lui, était des Albères, ces collines granitiques des Pyrénées-Orientales, à l'extrême sud-est de la France. Des collines qui viennent se jeter, tons rouge et vert olive, dans le bleu intense de la Méditerranée.
Je sais aujourd'hui que j'ai pratiqué l'alpinisme parce que des montagnes étaient là, lieux de solitude non loin de mon lieu d'habitat, mais que j'aurais fait un passionné navigateur solitaire, que la mer et son vide liquide auraient pu être ma chose, les vagues mes seuls reliefs.
Le Canigou, cette montagne mythique, je la gravirai enfin dans une Europe assagie, à soixante ans par Le couloir, un itinéraire qui faisait dire à mon père :
-- Pour excellents alpinistes seulement.
Un sentier court entre des émergences rocheuses. Cotation Facile, limite supérieure.
Le Canigou, 2786 mètres, domine cette petite ville. Comme il est situé à moins de cinquante kilomètres de la mer, on l'a longtemps considéré comme le plus haut sommet des Pyrénées.
Mon naturel est d'apprendre toujours.
Mais s'il se vient que je reste un seul jour
Sans rien apprendre en aucun lieu ni place,
Incontinent il faut que je déplace.
Et la mer sous son horizon de planète au loin, si faiblement courbé.
Le mythique et toujours majestueux Canigou.
Sous la brutale tramontane, le soleil intraitable, la houle de la plaine du Roussillon entre les collines de calcaire des Corbières sur lesquelles, enfant, j'ai tant marché et celles granitiques joliment boisées des Albères.
L'image que je souhaite laisser? Celle d'un homme qui s'est toujours placé à côté des mal vêtus, des mal nourris, des rejetés, des derniers de la classe.
La mort! Peut-être un jour, reviendrai-je mourir en France. Pour ne pas déranger ici. Pour mourir seul. Mourir seul! Seul! Ce mot m'amuse, comme si on pouvait se faire accompagner dans ce Grand passage! Seul comme dans tout ce que j'ai fait!