IMAGES DU REPOS VAINQUEUR
II
Mon empire est un sofa bien rembourré, parfaitement
élastique, mais il vaut mieux ne pas insister, vous détruisez
l'instant de gloire. Il est large, très, pas trop, et plane,
l'élasticité étant sous-entendue. Il a même la juste couleur,
avec juste assez de petites taches et ce film imperceptible
de poussière, pour ne pas paraître prétentieux. Mon bras
s'allonge, reste étendu, et règne sur des plaines, ma main,
sûre de me plaire, retient la brève immensité. À tous ses
points cardinaux, peuvent s'annoncer des choses. L'après-
midi chante juste. Je vois mon visage de l'intérieur. Nul
n'en profitera. Pour moi-même, je n'ai pas de nom, trop
commode à vous autres. Heureux — ah ! seul heureux !
— qui règne sans cour. Je suis venu ici pour mon compte
seul. Vous pouvez bien me donner du feu. Si quelqu'un en
vous m'appelle, je me rejoins. Nous ne sommes pas l'un
ou l'autre, nous sommes l'un et l'un, l'un, ou nous ne
sommes pas en ce monde. Soyez en vous. Merci.
LE ROI DES SPHÈRES
C'était lui le roi des sphères du moment. Je ne l'ai pas
accueilli comme il se devait. J'étais à ce moment-là occupé
au bord du ruisseau à honorer les choses et pour ce qui est
des hommes à ce moment, je tolérais à mes côtés un
homme qui n'avait que les os et les pattes. La royauté
appartenait aux choses et pour le reste, ce n'était que
mépris. Mais le roi des sphères du moment ne vient que
rarement. Il peut se passer des siècles. Alors, entre les
deux venues, il y a une vie de franchie. Et quand il vient, je
n'y suis plus.
LE RIDEAU
Dans les méandres de fer ouvragé d'un balcon d'étage
d'une maison de rapport, sur l'entablement gris, parmi les
linges sales d'un rideau de mousseline obsolète, obscène, le
vent force à danser un french cancan. Des cuisses rondes
du bout s'agitent vaguement et le rideau avance sur lui-
même, avec la majesté horrible de la tortue indifférente. Et
sans fin, sans fin, que dire, le vent cherche à faire naître la
forme qui serait amour.
IMAGES DU REPOS VAINQUEUR
I
La mousse que l'eau supporte va loin.
La neige avance la raquette malgré ses trous.
La main s'aplatit d'abord pour prendre.
La coupole du dôme, sa foi concave à l'infini.
De la colonne souffrante, aile, l'omoplate
encore vivante renaît et jouit :
en s'étendant elle donne beaucoup.