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Citation de enkidu_


Les journées sans visite, sans courrier, sans coup de téléphone devinrent interminables : elles lui donnaient la sensation de la mort. Il portait fréquemment le regard sur la pendule : comme l’aiguille avançait avec lenteur ! Quelle étendue que cinq minutes ! Naguère encore, il se disait que dans la vieillesse on doit surveiller d’autant plus son temps qu’il est devant vous plus réduit. Mais à présent il voyait au contraire que la vieillesse est l’époque du temps perdu. Car, tout lui étant devenu indifférent, qu’importait ce qu’il mettait dans les heures, ou même s’il n’y mettait rien ? Et c’est pourquoi, du matin au soir – un peu semblable à ces soldats de l’armée de Lucullus dont parle Plutarque, qui, hébétés par la chaleur, déplaçaient au hasard des pierres dans le désert d’Afrique, – il faisait n’importe quoi, en attendant de se coucher tôt pour échapper par le sommeil à la conscience de soi-même. Cette déchéance, accompagnée d’une conscience aiguë d’elle, était décrite complaisamment par le vieux monsieur à sa fille. Il y eut un échange de répliques très semblable à celui qui avait déjà eu lieu. « Tu penses toujours que tu es vieux », avait dit Pascualita. Et lui : « Comment pourrais-je penser à autre chose ? »

Pour la première fois de sa vie, il réalisait qu’il était sur la pente descendante, et il la dévalait avec une rapidité dont il n’était plus maître, allait buter d’un instant à l’autre et s’écraser tout entier d’un coup. Cette course à la mort était sentie en même temps comme une fuite devant la mort. La panique devant la mort eût été arrêtée ou freinée s’il avait été fortement religieux, ou fortement coureur, ou fortement philatéliste. Cela n’était pas. Et la passion politique, il aurait fallu pouvoir en parler. Il aurait moins pensé à la mort s’il avait pu parler beaucoup politique. Mais il n’avait plus personne à qui en parler. Parler politique avec Pascualita ? Non, à la fin, le ressort était cassé. Parler avec elle des questions de bonnes, oui. Cela était peu, contre la mort. Il n’avait à lui parler que de sa mort, et c’est ce qu’il faisait.

Les journées rajeunissaient avec le soir ; les soirs avaient des projets et une sorte d’énergie. Mais, à chaque réveil de la nuit, et à celui du matin, la première chose qui lui apparaissait était la mort, comme si elle était restée là toute la nuit, au pied de son lit, attendant ses réveils. Le réveil du matin était celui de la grande détresse. « Vais-je me réveiller tout de bon ? Et, si oui, combien de fois encore se fera ce miracle ? Et à quoi bon ce miracle ? Pour quoi me réveiller ? » Dans ces réveils nocturnes, ses mains étaient gourdes et inertes, comme si la mort avait essayé sur elles son grand investissement final de lui.
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