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Citation de enkidu_


Parisiens, Parisiennes, vos vies folles de lutte, amères et surmenées ! Mais, ce 11 juillet, c’est Paris au ralenti, les gens qui partiront dans trois semaines, et qui « partent » moralement en n’en fichant plus une datte, comme le rond-de-cuir qui à onze heures moins cinq pose la plume et cesse le travail, parce qu’il doit quitter le bureau à onze heures et demie. Avec ce billet inattendu dans sa poche, et cette conscience bienheureuse que l’affaire Lebeau était finie, M. de Coantré connut un sentiment très nouveau pour lui : une répugnance nette et vive à rentrer tout de suite boulevard Arago. Au lieu d’aller prendre l’autobus à la gare Saint-Lazare, comme il en avait l’habitude, il lambina vers les boulevards, en jouissant singulièrement de tout ce qu’il voyait, comme si c’était la première fois.

Les gens qui avaient crispé le visage jusqu’à six heures, parce que time is money, maintenant perdaient en flânant tout le temps qu’ils avaient gagné à force de taxis, de secrétaires, de sténo. Il y avait là des Français, pas beaux (glissons), et des Françaises, de tournure médiocre (parce que peu « femmes »), mais bien habillées et souvent plaisantes : on dirait que, chez nous, c’est l’homme qui a été fait d’une côte de la femme ; la femme a tous les avantages. Et entre ces Français coulait la lie de toutes les nations, dont ces Français n’étaient nullement gênés, qu’ils ne reconnaissaient même pas pour une lie. De place en place, comme les cratères laissent échapper le feu central, les « machines parlantes » des cafés servaient d’exutoire au faux sentiment, au faux pathétique et au faux sublime que cette foule avait dans le cœur. D’ailleurs, en quelque ordre que ce fût, tout ce qu’on lui offrait sur ces boulevards était faux, – alors que, du moins à notre époque, le seul luxe est l’authenticité. Les magasins exposaient des « bronzes » en creux et des colliers de « perles » à cent francs ; les camelots vendaient des « montres » à dix francs, des « parfums » qui étaient de l’eau rosie, des « stylos » qui n’étaient pas des stylos ; les cafés servaient des orangeades où il n’y avait pas d’orange, des orgeats où il n’y avait pas d’orge ; les gramophones jouaient des morceaux qui n’étaient pas, à beaucoup près, le morceau qu’avait créé le compositeur ; les banques affichaient des cours fictifs, les grands journaux des nouvelles inventées de toutes pièces, des photos truquées, les résultats d’épreuves sportives, résultats décidés à l’avance ; les cinémas déroulaient des films où il n’y avait aucune différence de talent, nous voulons dire de non-talent, entre la star multimillionnaire et la dernière des figurantes. Et tout cela était-il particulier à Paris ? Que non, mais cela s’y trouvait dans une grande tradition. Les œuvres jouées ou chantées à quelques pas d’ici, et la façon de les jouer et de les chanter depuis des siècles, témoignaient que, chez nous, rien n’est beau que le faux, le faux seul est aimable.
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