Des premières tiges argentines et frêles
, Hubert Voignier
Lu par Clément Hervieu-Léger
Aussi je m'en vais par les routes pluvieuses ou ensoleillées d'avril, bordées d'orties vivaces et d'ombelles géantes, dont les petites grappes de fleurs blanches gravitent comme des galaxies dans l'espace poudreux des talus et des fossés, à la recherche de ces champs d'herbe haute rehaussés de fleurs — faisant ressurgir en moi le souvenir d'enfance de vertes prairies constellées de narcisses au parfum amer sur le plateau d'Hauteville — à travers les voûtements grêlés des sous-bois ou les vastes nefs renversées des platanes le long des nationales, je pars à la rencontre des hautes herbes comme à la découverte d'un grand pays luxuriant où je désire m'immerger pour ne plus refaire surface. Je m'élance à la conquête de cet au-delà de verdure où l'on puisse vivre à jamais sous les lois de vigueur et de profusion végétales, où l'on puisse s'abreuver à cette fontaine de jouvence printanière, et atteindre par là à une forme d'éternité qui soit verte.
[…] il n’y a rien que cet assèchement progressif, cette réduction de la verdure en paille légère et cassante, ce repli annoncé de la sève, cet effacement. […] les hautes herbes ne sont que ce miroitement trompeur d’horizons fastes et de prospérité fabuleuse… bien loin d’annoncer un corps glorieux, une chance de postérité dans la matière, ne revêtent au fond qu’un paysage décharné, pauvre enveloppe végétale jetée comme de vieilles nippes trouées sur les assises osseuses de la terre.
Aller à la découverte des hautes herbes, au détour des paysages repeints aux couleurs de la reverdie annuelle, est un bonheur comparable à celui de se lever tôt pour constater que le soleil règne en maitre absolu sur la campagne, avant que ses rayons ne frappant de plein fouet les yeux du promeneur matinal, à peine éveillé, ne le jettent , l’esprit à moitié sonné, sur le carreau éblouissant des routes.....
les hautes herbes mènent réellement au seuil d'un pays intérieur, ouvrent la voie à une autre dimension, un envers ou un endroit confiné du monde
s’ouvrir aux sensations d’odeurs, de touchers, aux bruissements minuscules et aux froissements et tintements de toute forme d’herbes
un bonheur comparable à celui de se lever tôt pour constater que le soleil règne en maître absolu sur la campagne, avant que ses rayons, frappant de plein fouet les yeux du promeneur matinal, à peine éveillé, ne le jettent, l'esprit à moitié sonné, sur le carreau éblouissant des routes…
Les hautes herbes sont un corps entier et complexe, une unité multiple à déchiffrer dans la continuité du visible.
Ces paysages sont autant d'éclats du monde recueillis à un moment donné de mon passage, mon échouage accidentel, ici même, entre les parenthèses du néant, devenus des états d'âme qui forment procession dans le cinéma permanent de la conscience.