Des sensations et de l’humain
SF, vous avez dit SF ? Hmm, moui, mais non. Oui car on se projette loin dans l’avenir dans un contexte post-apocalyptique dont on n’apprend finalement pas grand chose, et non car la trouvaille scientifique (ou psychique) de Hugh Owey nous laisse un peu sur notre faim. Beaucoup d’ouvrages de science-fiction pèchent par leur aridité, leur ton déshumanisé ; ici c’est tout l’inverse, le destin de cette famille est très bien senti, amené de manière sensible et intelligente. D’autres romans du genre sont plombés par des apports scientifiques encyclopédiques, mal intégrés au récit ; dans Outresable, ils sont tellement rares qu’on en arrive à les espérer. Finalement, l’équilibre se fait assez naturellement, dans l’esprit du lecteur tout au moins.
Et puis, il vient d’où tout ce sable ? Heing ? La 4ème de couverture nous dit “Depuis des siècles, le sable a tout englouti.” C’est un peu léger, non ? Pourquoi ? Comment ? Toutes les montagnes de la planète se seraient-elles décomposées et leurs sédiments regroupés aux United States ? Je n’étais pas une flèche en sciences de la Terre, à l’école, mais pour recouvrir tout le continent de 300 à 600 mètres de sable, il me semble que l’érosion naturelle prendrait un bon paquet de millénaires. Ou alors l’océan asséché libérerait-il son fond sableux qui, drainé par le vent, s’abattrait sur les Hommes ? La question n’est même pas abordée ; c’est à la fois négligeable, et en même temps bien dommage.
Le vrai point qui aurait mérité d’être “creusé”, ce sont les mécanismes de la plongée en sables profonds. En effet, en m’aventurant dans ce récit après lecture de la 4ème, je m’attendais à ce qu’il s’agisse là du sujet central, de la note d’originalité autour de laquelle s’articulerait l’histoire. L’originalité est bien là, oui, le concept est intéressant sous bien des aspects, mais il reste davantage un prétexte, un support à l’aventure humaine construite par l’auteur.
L’atmosphère de la plongée est savoureuse, l’environnement, les sens et les éléments associés avec un génie certain. Il y a du visuel et du vibratoire dans la perception des plongeurs, du viscéral dans ce qu’ils peuvent ressentir en eux-mêmes, ainsi que d’infinies possibilités dans l’influence de l’esprit sur la matière. Seulement, voilà, on en veut plus ! Quels sont ces mécanismes ? Comment leur combinaison réalise-t-elle concrètement la symbiose entre le cerveau humain et le sable ? Une école de plongée ? Bien. Mais pourquoi ne pas y avoir consacré un tout petit chapitre ?
L’oppression et le mystère semblent être les pierres angulaires choisies par l’auteur, puisqu’il ne s’étend pas non plus sur les cités évoquées au-delà du No man’s land, où règnent des “Seigneurs” eux aussi assez troubles. Il préfère se concentrer sur le quotidien, le vécu, l’humain et l’instant T. Et je dois avouer qu’il mène sa barque avec un certain brio. La psychologie de ses personnages est crédible et touchante, souvent tortueuse, écorchée, mais capable d’un dévouement inespéré lorsqu’il s’agit de survie. Selon moi, la dimension humaine, souvent crasse et parfois lumineuse, constitue le point fort de ce roman.
Plongé dans tous ces non-dits, le lecteur est donc invité à extrapoler, à se poser les bonnes questions, à se projeter dans le passé tumultueux de ces Hommes vivant sur les ruines d’une civilisation sacrifiée. Nous pourrons y voir des analogies ou des allégories sur le sujet migratoire, sur l’exploitation et la lutte des classes ; nous frémirons et redouterons d’assister à quelles extrémités l’être humain peut s’abaisser pour résoudre des problèmes qui le dépassent, au point de négliger, d’oublier et d’enterrer des pans entiers de son Histoire, à commencer par ces populations gênantes, reflets de sa propre décadence.
Séduit par le style de l’auteur – et par la traduction de Thierry Arson – plus que par son récit, je recommande Outresable aux lecteurs avides de sensations, dans sa conception originelle, sensorielle et instinctive.
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