De deux, une : laissez-moi tout réviser, mais rien ne devrait changer ; ou je suis d’accord à ne pas réviser ! Mais alors changez par ici et par là, à savoir dans les… points essentiels. De ce dilemme vous ne pouvez pas sortir… J’ai dit !
Triste métier, que le métier de commissaire… Et m'sieur Fanica et m'ame Zoe qui n'ont rien de mieux à faire que de compter mes drapeaux… Ça, elle a raison, ma pauv'femme, quand elle dit : « Ghitza, Ghitza, lèche-lui les bottes et corse la note. Les repus ne croient pas aux crève-la-faim…! » Franchement ! Tiens, par exemple, m'sieur Fanica : qu'est-ce qu'il n'a pas ! Des terres... et quelles terres ! Un poste... et quel poste ! Une m'ame Zoe... et quelle m'ame Zoe ! Il se la coule douce, ma foi, avec les sous de Trahanake... (Se reprenant.) du vieux pépère... Mais moi ? Hein? Famille nombreuse, petite rénumération, rapport au budget, quoi !
Telle est la règle générale… Par malheur, il existe encore une autre règle, tout aussi générale… Parmi les grands propriétaires et même parmi les moyens, il s'en trouve très peu qui cultivent eux-mêmes leurs domaines ; la plupart d'entre eux – l'immense majorité – les afferment en bloc aux plus offrants. Les particuliers concluent le bail par contrat synallagmatique ; quant à l'État et aux Fondations, ils usent de la voie des enchères publiques, conformément à la loi de la Comptabilité de l'État. Seuls les domaines de la Couronne sont administrés directement sans l'intervention des fermiers. Ainsi donc, moyennant certains capitaux et quelques crédits, chacun peut prétendre à accaparer les terres grandes et moyennes.
La déformation du langage, l’obsession politique, sont si grandes que tous les actes de la vie baignent dans une bizarre éloquence, faite d’expressions aussi sonores que merveilleusement impropres, où les pires non-sens s’accumulent avec une richesse inépuisable et servent à justifier, noblement, les actions inqualifiables [...].
(page 177, « Portrait de Caragiale »)
Le Roumain, tout au long de sa vie, doit faire partie de plusieurs sociétés. Bien plus, il y a des Roumains qui, même avant leur naissance, sont membres de la société « Cornelia, association d'entraide des Roumaines en couches » ; d'autres, même après leur mort, continuent d'être membres actifs de la société d'enterrement mutuel. En échange d'une cotisation infime, tout membre a le droit, au cas où, Dieu l'en préserve, il viendrait à mourir, d'être enterré en musique.
En Roumanie, il existe un sésame capable d'ouvrir les cœurs les plus chagrins ou suspicieux. Dites seulement "Caragiale". La promptitude avec laquelle, pour le coup, les masques se lézardent, les lèvres se distendent, les yeux se prennent à pétiller ! Et cette exhalaison de soupirs extatiques…
Dieu sait pourtant si, au cours de sa vie, Ion Luca Caragiale (1852–1912), maître de la satire en qui d'aucuns voient aujourd'hui le "créateur de la prose roumaine moderne", eut à souffrir de l'hostilité dont devait le poursuivre l'establishment d'alors. D'où, en 1904, à l'âge de cinquante-deux ans, s'étant par deux fois vu refuser –en dépit (ou du fait) de son vaste succès populaire– le prix de l'Académie (et de plus renvoyer de la Régie des Monopoles), son exil à Berlin où il s'éteindrait huit ans plus tard. Mais quoi? Aussi persuadé qu'il ait pu être de servir ses contemporains en faisant rire d'une bourgeoisie naissante, ridicule, ou en parodiant un parlementarisme jeune mais déjà rongé par l'arrivisme forcené, pouvait-il en aller autrement? Car s'il y a du Feydeau et du Courteline dans son théâtre ou ses "croquis", s'y glisse aussi une verve assassine, nécessairement moins dégradable, qu'on trouve à l'œuvre chez Gogol, voire chez Lermontov.
p. 9 extrait de la préface de Jil Silberstein, "La gloire posthume d'un trublion"
Pourquoi ne meurt-on pas de bonheur ?
Une nuit orageuse, trad. Simone Roland et Valentin Lipatti, p.71
Le jeune enthousiaste avait trouvé le temps, entre Darwin et Lombroso, de feuilleter quelque peu Schopenhauer–"vers le ciel, vers la lumière" !
Zibal était loin d'avoir compris la "lumineuse" théorie. C'était peut-être pour la première fois que dans l'air humide de Podeni se déversaient un pareil flot de paroles savantes, de si subtiles pensées.
p. 25, extrait de la nouvelle "Un cierge pascal"
Tout cela s'appelle très sérieusement, en Roumanie, système démocratique ... Et cette oligarchie, pseudo-savante, possédant tout au plus un faux savoir, aussi incapable de produire ou de penser qu'elle est avide de gains et d'honneur, s'arroge tout le pouvoir de l’État. (...) cette oligarchie légifère et administre, se moque aujourd'hui des lois qu'elle a faites hier, modifiant demain les lois promulgués aujourd'hui, pour les enfreindre après-demain, sans esprit de continuité et sans autre système que celui de la satisfaction immédiate de ses intérêts exclusifs, afin de perpétuer l'organisation sacrée que l'on nomme ici "démocratique".
Il n'est d'habitude dont on ne se déshabitue.
Une nuit orageuse (1962)