SAUDADE :
Ce n'est pas vraiment de la nostalgie ni du manque, encore moins du regret. Non. La saudade est plutôt un réservoir de bons souvenirs, comme une bulle douillette et chaude, qui se pointe sans crier gare dans l'esprit pour s'y déployer jusqu'à devenir l'esprit lui-même. La saudade n'est pas non plus une absence, ni une errance. Au contraire. La saudade est une présence si forte que l'existence elle-même en devient une conséquence : c'est confondre le temps, le temps passé s'unit au temps présent et au temps à venir. La saudade, c'est reconnaître l'inconnu, se souvenir du « pas encore vécu », c'est percer les mystères du néant, c'est se savoir seul et pourtant plus que jamais accompagné. La saudade est l'élan qui récupère l'irrécupérable pour s'en remplir jusqu'à plus soif. C'est traverser la distance, braver les océans et les montagnes sans bouger ; dévisager la mort et ne sentir que de la vie. La saudade, c'est un bateau, sans moteur ni voile, qui nous amène toujours à bon port. Sœur cadette de l'espérance, la saudade ne meurt jamais.
(p. 124-125 - Éd. Cosmopole)