Jacqueline Duhême et les poètes. 2019
Bibliocité.
Après la rencontre de Paul Eluard, je ne peux abandonner le chemin de l'usine Jaeger. Mais je suis toute changée. Venue du monde ouvrier je fréquente les intellectuels. Me voici confortée dans ma décision : dessiner, illustrer des livres, vivre de ce métier et pas d'un autre ! (p.161)
Mon petit Paul
je suis déprimée au possible,
Matisse n'arrête pas de m'attraper
au sujet de mes dessins, il me répète du matin
au soir avec des ( comprendrez-vous oui ou non)
que je suis comme le reste à faire comme lui,
écrire des poèmes d'après les autres,
dessiner d'après lui, je commence à croire
que c'est très vrai alors je suis abattue
comme un chiffon mouillé mais après tout
on verra bien j'aime trop dessiner
pour m'en passer et ce serait faire l'idiote
que de m'arrêter et ne plus rien faire
ni en dessin ni en français
Il y a des chances qu'avec sa personnalité
qui transpire sur tous les murs de la maison
Je ne peux que me laisser prendre
sans m'en douter mais j'apprends,
je ne crois pas que ça puisse nuire,
et vraiment je fais tout
pour ne pas imiter du Matisse.
(p. 110)
Pire que la punition, la sentence de tante Marguerite me toucha davantage : « si tu continues, tu devras aller vivre chez ta mère… »
De cela, j’avais très peur, ma mère devant ses clients demandait que je l’appelle « marraine ». J’en déduisais qu’elle avait honte de moi et qu’elle ne m’aimait pas. Je la trouvais belle et intelligente et dès que j’étais en sa présence, j’avais peur et trop chaud à la tête…Aragon enfant devait dire « tante » à sa mère, ce fut la blessure de toute sa vie. (p.38)
Printemps et été 1948
Tu es les fondations d'une vie nouvelle,
la mienne, qui a pour fenêtres tes yeux
et pour porte ta bouche
Paul.
(p.105)
Printemps et été 1948
Paul ami
Je vais finir par mourir de ne pas savoir dire tout ce qui me fait mal de joie le soleil et les toits sur les vitres de la cuisine,
les prismes de la Seine grasse
après les péniches
Paul je te remercie
Je me calme en pensant à toi
Tu me rends
l'espoir de voir clair
(p.105)
J'ai plongé dans les choses sans m'embarrasser des détails de la vie. p 13