Grâces de l'instant
Qui venez vers nous
Du fond du futur,
Mouvantes lisières
D'un royaume obscur,
Vous n'êtes jamais
Qu'à moitié présentes,
A moitié perdues,
A moitié vivantes,
A moitié vécues.
Le temps trop court, le temps compté
Pour les enfants toujours frustrés ;
Le temps d'un cri, le temps d'un rêve :
Je mourrai sans avoir été!
Ceux qui me voient ne savent rien de ma tristesse.
J'apparais à leurs yeux comme un homme comblé,
Débordant de bonheur si ce n'est sagesse,
Et donnant au Seigneur sa mesure de blé.
J'arrive d'un pays devenu légendaire
A force de nourrir mon rêve et mon souci.
Je fais oeuvre d'amour. Je vais dans la lumière.
J'aime. Je suis aimé. Je chante. Je souris.
Je gagne chaque jour ma retraite profonde,
Je traverse la vie dans des rires d'enfants.
Je suis le fils d'un Dieu, je règne sur un monde,
J'avance dans la paix et dans l'enchantement.
Mais moi, j'entends toujours, plus bas que le silence,
Le bruit sourd de ma vie qui s'écoule en grondant,
Sans pouvoir invoquer jamais pour ma défense
Ni d'échange éternel ni d'accomplissement!
Sans fin, dans le tracas de mes jours qui s'effondrent,
J'entends la même voix et la même question :
"Qu'as-tu fait de ton temps? Qu'as-tu fais de tes dons?"
Et je reste tremblant, sans rien pouvoir répondre :
Je suis seul à savoir ma promesse et mon dû,
Je me fais à moi seul figure de vaincu.
Qu'aurai-je délivré de tout ce qui m'oppresse?
Qu'aurai-je révélé de mes cérémonies?
Laquelle ai-je tenue de mes hautes promesses?
A quoi pourra servir tout ce qui fut ma vie?
Quel culte ai-je nommé? Quel sera mon emblème?
Quel pays, quel regard, quel secours, quel amour?
Quelle route en dansant tracera mon poème?
Quelle figure enfin composeront mes jours?
Qu'ai-je donné jamais? Quelle clarté l'atteste?
Qu'ai-je fait? Qu'ai-je dit? Quelle oeuvre? Quel aveu?
Qu'ai-je donc engrangé dans la grange céleste?
De quel poids pèserai-je aux balances de Dieu?
Dans quel pays s'en sont allées
Les promesses qui faisaient rage
Au large de mes matinées?