Intervention de Christian DELRUE Président des Amis de Panait Istrati et Jacques BAUJARD de la Librairie QUILOMBO lors du Festival Istrati.
C’est l’empire du nénuphar blanc et des mûres sauvages, veloutées, grosses comme des cerises !
Kessel dans sa préface à -Oncle Anghel-
Vagabond, débardeur ou contrebandier- peu importe ce qu'il fut. Voici l'essentiel: il a gardé le souvenir des étoiles qui ont veillé sur son sommeil inquiet, il a su démêler dans la poussière des grands chemins son grain ardent. A travers toute la misère et toute la fatigue, il a porté, intact, un coeur d'homme.
Ils ont dit...
Romain Rolland- Le Sorcier
Il emmagasine un monde de souvenirs et souvent trompe sa faim en lisant voracement, surtout les maîtres russes et les écrivains d'Occident. Il est conter-né, un conteur d'Orient, qui s'enchante et s'émeut de ses propres récits, et si bien s'y laisse prendre qu'une fois l'histoire commencée, nul ne sait, ni lui-même, si elle durera une heure, ou bien mille et une nuits. Le Danube et ses méandres...Ce génie de conteur est si irrésistible que dans la lettre écrite la veille du suicide, deux fois il interrompt ses plaintes désespérées pour narrer deux histoires humoristiques de sa vie passée. Je l'ai décidé à noter une partie de ses récits; et il s'est engagé dans une oeuvre de longue haleine. (p. 183)
Dans son avant-propos à Kyra Kyralina :
" Adrien Zograffi n'est, pour le moment, qu'un jeune homme qui aime l'Orient. C'est un autodidacte qui trouve la Sorbonne où il peut. " (p. 25)
Comment cet homme, qui fut le premier à se dresser contre le totalitarisme soviétique, peut-il être à ce point oublié ? Je ne le comprends toujours pas. Encore plus étrange lorsqu'on célèbre les écrivains à avoir suivi son chemin. Peu de gens connaissent l'histoire de ce révolté par nature; C'est en partie pour cela que cet auteur a autant d'importance pour moi aujourd'hui. Les exclus, les marginaux, les oubliés de l'histoire me sont plus sympathiques que les personnages présentés dans les manuels scolaires. Et, dans quelques années, j'espère que l'on pourra ne plus rougir à l'idée de prononcer son nom à côté de ceux de Kerouac, Cendrars ou Hemingway. Entretenir la mémoire des vaincus est la seule manière de conquérir un jour prochain l'empire de nos rêves
Ma mère me confiait, après en voir vu de toutes les couleurs : « Les nations prient Dieu de bien de façons, mais elles le bafouent de la même manière ».
est-ce pour Maxime Gorki, emprisonné lui aussi après ce funeste dimanche, qu'Istrati se joint aux manifestants ? avec ceux de Zola et de Tolstoï, les livres du vagabond russe lui ont permis à maintes reprises de fuir l'infernale routine du travail. Ceux de Gorki, véritable écrivain issu du peuple, l'influencent plus encore que les autres. A 20 ans à peine, Istrati sait de quoi parle Gorki lorsqu'il décrit les nombreuses difficultés s'abattant sur le pauvre bougre décidé à trouver un métier et n'ayant que ses deux mains pour richesse. A la lecture de ses -Esquisses et récits-, Istrati est abasourdi par tant de sincérité: "Un manoeuvre presque illettré, parvenu à cette puissance d'expression artistique et révolutionnaire. Voilà une destinée dont tous les écrivains ne peuvent pas s'enorgueillir. Il y faut, en plus du talent, le grans coeur du révolté" (p. 57)
Seize mois en URSS, ce n'est pas rien ! A l'époque, Istrati est l'une des rares personnes à être demeurée aussi longtemps au "pays rouge". Il se retient pourtant de leur répondre que ce rouge ne provient
ni des étoiles ni des feux de joie, mais bien du sang des milliers de victimes de la Révolution- si ce n'est bien davantage. (p. 125-126)
C'est ainsi- seul et très malheureux dans le plus beau pays du monde, entre les années sombres de 1916 à 1918- je fus près d'être vaincu par l'isolement. C'est terrible quand on n'a plus d'ami à qui dire combien on est joyeux et combien triste ! Et cependant, l'ami auquel j'aurais pu dire tout cela était tout près de moi- "Les trois phases de mon Romain Rolland" dans "Liber amicorum Romain Rolland- 1926
"Ami vaincu par la solitude, où que tu te trouves, dans ce monde, ressaisis-toi et sois grand comme la joie, comme la douleur, devant l'inconnu qui vient t'offrir promptement son coeur ! Ne marchande pas le trésor que tu caches au trésor qui t'est offert ! Quels que soient les orages qui aient pu dévaster tes espérances, sois noble, sois confiant, crois toujours à la propre chaleur de ton âme et ne la refuse jamais à l'assoiffé qui te la mendie"
Les sacrifices demandés n'ont jamais entamé mon désir de partager l'oeuvre de l'écrivain grâce à l'écriture. Car la vie d'Istrati est un hymne formidable à la lutte permanente. Et à force de la lire, je crois avoir compris qu'avant de se révolter contre le monde entier, lutter contre soi-même et ses propres démons est la première étape de la vie du véritable révolutionnaire. (p. 161)