"L'Empire des Lumières" offre l'image d'un paysage nocturne sous un ciel de plein jour. [...]
Le désir de réaliser "L'Empire des Lumières" avait pris possession de René Magritte en 1949. Il le poursuivit jusqu'à sa mort [...] Il s'agissait d'unir la nuit et le jour dans une seule image, douée du pouvoir poétique, celui de nous surprendre et nous enchanter. Cette vision lui avait été inspirée par un poème de Lewis Carroll, qui disait :
"Le soleil sur la mer brillait
il brillait de toutes ses forces
il faisait de son mieux pour rendre
les flots étincelants et calmes.
Et c'était très bizarre, voyez-vous, parce que
c'était au milieu de la nuit."
La vie de René Magritte offrait elle-même le spectacle de cette contradiction. Les personnalités de son père et de sa mère s'opposaient à l'extrême. Madame Magritte avait été une catholique fervente, tournée vers les valeurs familiales. On la disait dépressive. Monsieur Magritte était anticlérical et le terme "d'indécrottable noceur" désignait sa conduite "immorale" qu'il poursuivit après la mort de son épouse. Ne dit-on pas d'un tel couple : "C'est le jour et la nuit" ? René Magritte forma avec Georgette Berger une même réunion de contraires inversés : sa méconnaissance totale de la valeur de l'argent et son goût pour l'activité artistique comme valeur suprême de l'existence étaient aussi éloignés du caractère de sa femme que ne l'est le jour de la nuit.
Pour moi les Magritte, je les ai toujours considérés comme des fous, à commencer par René. D'ailleurs, vous avez déjà regardé ce qu'il peint, il faudrait y mettre un sacré ordre !
On a rarement vu le parcours d'une vie incarner à ce point le mouvement habituellement secret qui consiste à plonger au cœur de l'odieux avant d'atteindre au sublime.
René Magritte ? Il était insupportable ! ... Il était tellement invivable, Monsieur, que sa mère s'est suicidée ! .. Dans la rue, on disait que les Magritte étaient "tchaukîs", on disait que leur maison était tchaukîe : endiablés, possédés du diable, parce qu'ils en faisaient de toutes les Magritte, surtout René !
le désir du biographe serait-il d'aller jusque dans la tombe de l'être idéalisé, et d'y toucher ses restes ?
Ceci n'est pas une biographie !
Tu connais le surréalisme, Charles ? Le surréalisme, c'est ceci, Breton l'a expliqué : tu te promènes en rue, tu aperçois de l'autre côté de la rue un prêtre, tu n'hésites pas une seconde, tu traverses, tu le frappes, tu lui craches au visage et quand il est à terre tu le roues de coups de pied dans le ventre. Pourquoi ? Justement parce que ça ne se fait pas ! Voilà ce qu'est le surréalisme, Charles.