Citations de Jacques dit Moreau du Mans (20)
Favelas
Combien d'arbres déserts
d'horizons sans appels
de sources pillées
et l'implacable à vivre
au plus barbare de l'angoisse
pour que chavire dans sa nuit
la fillette aux yeux vendus
Gaza
Pour qui la frappe noire du talion
les rages d'un orgueil lancinant
la maison sans amarres
le sable vide et la faim
l'enfance aux mains brisées
que jamais plus n'étoilera
le sacre d'un sourire ?
Mogadiscio
À quai ce soir jaillit
la grande parade humanitaire
tourbillons de flashs
guerriers peinturés
pour quelques horions signifiants
dans la nausée des simulacres
la nuit s'écaille on a bafoué
les gisants leurs voix de craie
et leurs cachexies de mort grise
cette misère en vrac
absents
de l'arène étoilée
Problématique du visage
Les dieux naguère
Les dieux naguère gravitaient
dans l'obscurité d'un visage
On naissait d'une pierre formulée
d'un caillot de brume de la pourpre
hallucinée des digitales
Aujourd'hui saigne la nuit
qui nous portait
rien ne prélude à l'impatience
des labours lumineux
et l'univers appréhende
la vérité de ses linceuls.
Sida-service
N'oublie pas ces dérives du sang
ces blancs dealers en marge du savoir
et l'aube affranchie
d'urne mort sans péage
Khmer
Vieil homme en lambeau
tu portes mémoire
de voix déracinées et d'âcres charniers de cendres
et toi l'enfant
martelé de souffrance
stropiat d'un sol meurtrier
rien ne balisera ton destin
qu'un rappel d'arme aveugle
et l'arroi machinal du temps
Bagdad
Main basse
sur les derricks souverains
tressaillent déjà
les marchés grêlés d'orages
de nouveau le jour
s'écrira
dans le saccage des innocents
mais cette fois jusqu'au secret
de leurs dépouilles trahies
Vietnam
Tripes et haillons giflant le ciel
un chaos d'épouvante
baignée de cris
la pierre qui sombre
vendangée
Guatemala
Ce dieu complice
dans les yeux brûlés d'une église
le fruit qui tremble
la chair en croix
la mort en nous levée
que parachèvent nos silences
Santiago
Au cœur soudain
la déchirure des armes
à vivre
l'impatience des ferments d'hiver
la geôle et ses brasiers
une terre immobile
où s'endeuillent les bourgeons
Vietnam
Tripes et haillons giflant le ciel
un chaos d'épouvante
baignée de cris
la pierre qui sombre
vendangée
La fibre
La tulipe
La tulipe assume sa peur
dans la rébellion des jardins
Chaque insecte la baigne
d'une exigeante nudité
et le vent courbe y parfait ses limites
Ton seul regard fera renaître
leurs témoignages trahis
La fibre
Le livre
Le livre égal de la lumière
que dégrafent les orages
et que chaque abeille inscrit
dans l'arrogance du bois neuf
colore les chapelles du sang
haut dressés leurs évangiles
pour les refus qui nous embrasent
La fibre
Des cathédrales s'exfolient
Des cathédrales s'exfolient
dans le treillis de tes larmes
ordonnant d'un bel uniforme
nos certitudes confondues
L'horizon tarde à nous répondre
par cet automne sans colères désignées
J'éclos d'un sable d'un sable dans ta voix
Problématique du visage
Chargés de cris
Chargés de cris
des morts s'évadent
lacérant l'écume des herbages
Le soir ponctue leur transhumance
au rire agressif
d'un couchant qui peine à se rompre
et moi pour une joie levée
dans l'orbe de la parole
j'apprends l'oiseau de ronce et de givre
où voyage la cruauté
du sol neuf qui l'incendie
La chanson pourpre
Le plus beau poème – Extrait 2
Le plus beau poème Seigneur
C'est une main de chèvrefeuille étoilant une haie fébrile
C'est parfois le matin dans un tourbillon de fougères
le bonheur simple qui m'étreint en dénouant une fille
allongée sous des cordes de soleil blanc
C'est un poussin neuf c'est l'océan du bout du monde
livrant sa fleur de solitude
C'est l'hirondelle fuyant les démons de l'automne
C'est la noire passion d'un légionnaire en tenue de campagne
Le plus beau Poème c'est un prisonnier dessinant
un sourire sur lequel bouge encore l'aveu tremblant l'une femme
C'est l'arbre musculeux qui rayonne dans la terre
C'est le rire furtive lumière
aux yeux glissés sur le miroir d'une adolescente
qui se peigne en hâte
C'est tout ce qui pourrait faire tomber des usines
les cris de mort le glas du mâchefer et du vent sale
Le plus beau poème
c'est ton épaule ouverte qui pleure doucement
sous ma lèvre lente
La chanson pourpre
Le plus beau poème – Extrait 1
Le plus beau poème
C'est un feu d'orage cassant les drapeaux d'un hôtel de ville
C'est la main posée sur une plainte amoureuse
Le calme du moribond qu'on a rasé de frais
La nuit farouche des bourreaux
C'est le vol sanglant d'un rapace dans le couchant
Le poing gonflé des étamines
Le plus beau poème c'est
la lune écrasée sur une cathédrale repliant
ses ailes pour mourir
C'est le bal d'un chat noir maîtrisant le silence
Un bataillon d'engagés volontaires la gueule éteinte
à coups de vieux pavés
C'est le grimoire abscons d'un tabellion bétonné d'importance…
Problématique du visage
Rouge-gorge
Rouge-gorge
prisonnier de ton chant
de ton regard
où des forêts se brisent
les yeux flétris tu n'habilles plus
que des horizons de cendre
et l'oblique démarche
de tes matins désertés
La chanson pourpre
Éros
Voici la mort sans roses ni cortèges
Voici des lèvres sans visages
Il frappe en moi plus loin que l'exil des fontaines
L'amour sanglé de nuit
Il tremble aux yeux des plantes
Il saccage mon rire
Comme exulte la branche au tourbillon des nids
Bourrasque ou feu rongeant
Saigne l'amour impénitent
De la racine aveugle au faste des tempêtes
Amour obscur de marécage
Larmes d'un ciel démesuré
Carrousel de frelons
Poignardant le silence
Cheval griffu
Soleil fendu
Ariane
Un grain de soleil vagabonde
Il traverse la joie des livres
Tournent l'azur et les pommiers
Dans les prisons neuves du miel
Le déclin d'une rose ouverte
C'est une porte d'aventure
Le vent brûle par les ajoncs
L'appel rugueux de nos destins
Un jaillissement d'hirondelles
Voici l'aurore qui tressaille
Dans chaque source qui fleurit
Exulte l'hiver condamné
Et c'est au fil de mots très sages
Que j'ai dégrafé ton sourire