Jules avait réussi à vivre sa vie sans avoir une seule fois recours à la violence depuis l’école primaire. Ce mois de mai de sa trente-quatrième année, il avait maintenant infligé des dégâts trois fois et pris des coups deux fois. Ça lui souciait et il espérait que ça n’indiquait pas le début d’une nouvelle tendance. Lorsqu’il se vit dans le miroir, il discerna sur son front plusieurs couleurs distinctes – des rouges, des violets, des roses et une première pointe de jaune – et il tenta sans succès de rabattre ses cheveux sur son front avant de décider que les points ajoutaient une touche théâtrale qui ne lui déplaisait pas. L’hématome sur son estomac était un cercle parfait. Jules espérait du fond du cœur qu’après son coup de pied bien placé les testicules de Bunny ne redescendraient jamais, sauvant ainsi une multitude de femmes de ses assauts.
On était le 21 juin, jour de solstice, la première journée de travail de Jules depuis presque un mois. Une journée bonne et mauvaise, comme les verres à moitié pleins ou à moitié vides, le premier jour de l’été et le plus long de l’année. La lumière était dorée, le temps radieux, mais il était coincé dans une voiture de patrouille. C’était l’été, donc en principe les gens n’allaient pas déraper sur des routes verglacées, ou mourir de froid, ou s’entre-tuer dans des accidents de chasse, mais c’était aussi l’époque des vacances scolaires et de l’auto-stop facile, donc celle où tous les cinglés rappliquaient, fuyant les villes stériles et les plages tropicales surchauffées.
La semaine précédente, Jules, qui envisageait une petite échappée improvisée, avait vu dans le supplément voyage du New York Times une photo des Absaroka Mountains et un titre qui disait : « Montana : profitez-en pendant que ça dure ». Une partie du comté de l’Absaroka était décrite comme « Hollywood-sur-Yellowstone » et Jules, le cœur serré, s’était dit que c’était râpé. Les vacanciers de tout le pays semblaient déjà être descendus, ou montés, vers le Montana. Les hôtels de Blue Deer, quatre mille habitants environ en temps normal, en hébergeaient au moins mille de plus les jours d’été. Peut-être même plus encore : Jules n’écoutait jamais très attentivement aux réunions de la chambre de commerce.