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Critiques de Jaroslav Rudis (21)
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Alois Nebel

"Le brouillard rampait et semblait se coller à la terre humide..."

(G. Sand, "La Mare au diable")



Une petite gare paumée quelque part dans les montagnes de la Silésie. Ses lumières et ses quais se perdent parfois dans un brouillard qui cache des choses vraiment étranges.

Un hôpital psychiatrique et ses couloirs, arpentés par des gens incapables de prendre seuls un train, mais qui peuvent, à leur façon, apercevoir la fin du quai au-delà du brouillard.

Gare centrale de Prague où tout peut arriver, pas seulement les trains.

Les forêts de la frontière tchéco-polonaise. Les nuages qui arrivent, chargés de pluie.

Et un cheminot du nom d'Alois Nebel.



Quand Jaroslav Rudiš a commencé à inventer avec ses amis les histoires de Nebel autour d'une bière dans un pub à Žižkov, vers le début des années 2000, ils ne se doutaient pas encore qu'ils allaient créer un phénomène.

Il est vrai que l'art de la BD était pratiquement inexistant en Tchécoslovaquie totalitaire, mais il est reparti de plus belle après 1989, et au bout de dix ans, la concurrence était déjà grande. Alors pourquoi, dans toute cette production, c'est justement "Alois Nebel" qui est devenu une "oeuvre culte" ?

"Nebel" veut dire "brouillard", en allemand. Si vous le lisez à l'envers, cela vous donne "leben" - la vie.

Le personnage de Nebel est excellent. Un vieux garçon solitaire, passionné de trains et de chemins de fer. Une bonne âme passive et sans exigence, car son travail lui apporte tout le bonheur dont il a besoin. Quoi de plus rassurant que la vie réglée comme une horloge, et la lecture répétitive des horaires des trains ?



Mais les nombreux trains qui ont traversé cette petite gare des Sudètes avaient des wagons chargés d'histoire, et parfois le passé revient à l'improviste pour surprendre Nebel. Il est difficile de voir les choses clairement, à travers le brouillard - il faut faire appel à la vue intérieure, pour distinguer le vrai du faux - alors ce convoi pour Auschwitz, ce train plein d'Allemands assoiffés, ces soldats russes... ? L'histoire des Sudètes était mouvementée et remplie d'atrocités, et bien après la fin de la guerre, ses fantômes sortent encore de la brume pour s'adresser à Nebel.

Cela n'échappe pas à ses supérieurs, et Nebel est envoyé dans un hôpital psychiatrique.

C'est là qu'il va rencontrer le Muet, un personnage énigmatique qui va devenir son confident. le Muet semble être à la recherche de quelque chose, ou de quelqu'un... a t-il un quelconque rapport avec les choses terribles et bizarres qui se sont passées en Pologne à la fin de guerre ?

Les destins de Nebel et du Muet sont comme connectés par les réminiscences du passé, qui laisse ses empreintes tant dans les êtres humains que dans certains endroits. Nebel voit des images vivantes de ce passé, tandis que le Muet est poursuivi par des souvenirs qui font toujours mal, même après un temps aussi long.

Nebel va sortir de l'hôpital après la chute du communisme, pour découvrir un autre monde. La Gare centrale de Prague, l'endroit qu'il a toujours rêvé de visiter, va devenir son abri de clochard. Des rencontres de toutes sortes, pas toujours agréables... Mais peut-être que cette gentille Mme Kveta, qui travaille aux toilettes, sera sa bouée de sauvetage ?

Les personnages vont se retrouver à la fin lors d'un épisode presque apocalyptique, mais je n'en dis pas plus.



Les dessins en noir et blanc de Jaromír Švejdík soulignent parfaitement le côté étrange du récit, qui peut paraître aussi brouillé que le pauvre cerveau de Nebel. Mais il contient tout un pan de l'histoire tchèque, des réminiscences et des détails réels sur le passé des Sudètes. L'atmosphère de ce roman graphique est assez oppressante, et les paysages monochromes de Švejdík contribuent à évoquer à la perfection ce qu'on appelle le "genius loci". Tout arrive par touches : le passé aurifère de la bourgade de Zuckmantel (Zlaté Hory), les procès avec les sorcières du 17ème, les convois nazis en route vers les lagers, et les autres convois remplis d'habitants des Sudètes dépossédés de leurs terres. Les malheurs des uns et l'opportunisme des autres, quel que soit le régime...

Certains vont peut-être trouver la trame décousue, d'autres feront des efforts pour avancer avec le héros dans son obscurité blanche et opaque, à vous de voir.



Le film tiré de la trilogie originale a reçu le 1er prix du film d'animation, aux European Film Awards. L'inhabituelle technique de la rotoscopie lui ajoute une touche esthétique qui pourrait donner la fausse impression que nous sommes devant une "oeuvre d'art", destinée surtout aux snobs cinéphiles. Mais le film est une réussite , tout comme son modèle littéraire.

Une histoire pour tous ceux qui aiment se promener dans le brouillard. 4,5/5
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Avenue Nationale

Son père lui avait dit : « Petiot…

Fais jamais confiance à personne. Fais jamais confiance à personne. Fais confiance qu’à toi-même.

Surtout, t’as jamais le droit de te laisser traiter comme de la merde,

tu piges ? Faut que tu sois fort. Promets-le moi. »

Donc, il lui avait promis.



Ce fils, c’est Vandam. Il est peintre en bâtiment. « L’Histoire du monde, c’est rien d’autre que de la superposition, du ponçage, de la dilution et de la peinture. (…) Couche sur couche. Bataille sur bataille. Récit sur récit. »

Il vit dans une cité du nord de Prague, où les immeubles sont construits en panneaux de béton préfabriqués selon l’architecture communiste des années 1960 à 1980. C’est lui le narrateur de ce roman. Il est fier d’habiter dans cette cité, car son père et son grand-père ont participé à sa construction, et il a du respect pour ses anciens.



Vandam, c’est son surnom, ridicule… Depuis qu’il a visionné, du temps des communistes, des films de Jean-Claude Van Damme sur son vieux magnéto à cassettes VHS, il est devenu fan et grand admirateur de cette star belge du cinéma d’action des années 1990. Tout comme lui, il fait des pompes et il boxe.

Il a la même façon de s’exprimer aussi, avec ce langage populaire rudimentaire et sans finesse d’un garçon de banlieue -un langage au vocabulaire limité, brut, direct, cru, grossier et vulgaire.



Pour lui, il est nécessaire de garder la forme, d’entretenir son corps, ses muscles, et son moral, pour pouvoir affronter une nouvelle éventuelle guerre, ou un nouveau conflit. « La paix n’est qu’une pause entre deux guerres », lui disait sa grand-mère !

« Mais moi je sais comment c’est. Je sens que ça fond comme les glaciers. Que de nouvelles batailles se préparent. », ce sont les mots de Vandam. Il est convaincu de ce qu’il dit, mais en fait, il est de mauvaise foi ! Il s’illusionne sur lui-même !

On est dans la décennie de 2003 à 2013... La Révolution de velours a eu lieu en novembre 1989.

Voilà déjà une quinzaine d’années que les communistes ne sont plus aux commandes du pays.

La démocratie s’est installée. Mais il ne fait toujours pas confiance aux dirigeants politiques...

« Ils te mettent dans le crâne que capitalisme égale liberté et démocratie. Ils te mettent dans le crâne qu’il n’existe rien de meilleur que ça. Et si tu dis qu’il existe peut-être quelque chose de meilleur, t’es tout de suite un communiste ou un nazi. »

Après toutes ces années vécues sous un régime totalitaire, Vandam est en manque de repères.

En fait, il n’a pas évolué. Il glorifie encore les soldats germains et romains qui combattaient en l’An 9 !

Pendant les matchs, il fait aussi le salut romain. Vandam est un frustré.

Sa radicalité fait peur.

Dans la vie de tous les jours on n’aimerait pas le rencontrer !



Tout au long du roman, on a l’impression qu’il soliloque, mais, en réalité, les mots qu’il débite comme une mitraillette, s’adressent à son fils.

Il lui dicte la conduite qu’il doit tenir dans la vie, tout comme son père lui avait demandé, à lui précédemment : « Tu devrais écouter que toi-même. Que tes instincts. Pas le cerveau. Les instincts. » Avec un discours violent et obsédant, il l’incite à se bouger, à s’endurcir, à savoir se battre, dans le but de se sentir fort, de ne pas être celui qui subit, de ne pas être « un mi-homme » !

Vandam veut être un exemple aux yeux de son fils, alors que lui-même n’est qu’un minable, xénophobe et hypernationaliste. Il est pathétique !



Trois lieux s’avèrent importants pour lui, dans sa vie :

la forêt (où l’orme est « La porte d’un ailleurs »), la cité elle-même, et une taverne.

La forêt, c’est un lieu de mémoire familial tragique pour lui (sa mère s’y serait perdue, étant devenue folle après que son mari, alcoolique, y ait été retrouvé pendu) ; - la cité, parce qu’il y a ses habitudes et qu’il y a ses souvenirs de famille ; - et la taverne, un lieu qui lui permet de se lâcher, d’évacuer ses tensions, en compagnie de son ami Mrazak, et de Lucka, la tenancière pour laquelle il a le béguin.

Dans une partie du roman qui s’intitule « Cicatrices », Lucka et Vandam se retrouvent tous les deux, au lit. Chacun exprime son mal-être et sa solitude… A tour de rôle, chacun parle de sa vie cabossée et chaotique, de son enfant, de la difficulté de l’éduquer… Lucka va lui apprendre qu’elle a vécu au sein d’une communauté : « A l’époque, tous les Tchèques voulaient être des Celtes. »



Ce roman est écrit avec des phases courtes, qui s’enchainent. C’est très rythmé. Des mots et des phrases se répètent… C’est entêtant. Ca bouscule. Ca convient bien au personnage de notre narrateur, qui est en marge, ne tient pas en place, trépigne et parle comme un enragé.

A la lecture, on se sent comme essoufflé ! Ca se lit facilement, rapidement, et c’est captivant.



Des passages sont drôles, notamment avec l’évocation d’un Noël en famille, où son père a des soucis avec un « porc-chou-boulettes » (plat national tchèque) -l’épisode aussi, de sa castagne dans la taverne avec un gros gars venu de la province, vaut le coup ! D’autres passages sont émouvants, et nostalgiques. Outre son côté bagarreur, et sa façon de s’exprimer très directe et brutale, ce gars en marge de la société, semble néanmoins avoir quelques valeurs morales. Il sait faire preuve de respect, et de courage. Il est courageux, mais il lutte contre ses propres limites. Il a un charisme certain, mais en définitive, il ne charme pas, il sidère !

Quand il se bagarre avec quelqu’un, pour lui ce n’est pas de façon gratuite, non, il considère qu’il agit en justicier, pour le bien ! Il sait esquiver les coups, est bon tacticien et il se compare aisément à Jan Zizka (ce héros national tchèque, chef de guerre hussite, et grand stratège) !

Il règle leurs comptes, aux personnes arrogantes et irrespectueuses des règles, quand lui-même transgresse les normes par son comportement déviant ! Il n’y a plus que hargne et rage en lui, qui est abimé par la vie.



Ce roman est aussi rempli de références à l’Histoire tchèque, à sa littérature, à ses émissions télé, à sa cuisine et ses boissons, à la chasse, etc.

Et on découvre un peu ce qu’est « l’humour tchèque » …



A la taverne, un moment, on a l’impression de se retrouver en compagnie des piliers de brasserie palabreurs, des personnages des romans de Bohumil Hrabal ou encore de Vladimir Tresnak, avec de franches rigolades collectives, mais ici les propos dérivent et deviennent -rageurs, envers ceux et celles qui ne les ont pas compris (les femmes, les hommes politiques), -machistes, et -xénophobes.

Les exagérations, les grossièretés, fusent, l’alcool aidant, comme pour se libérer des tensions accumulées et des désagréments de la vie : « Quand y a rien qui va, on peut s’en remettre en picolant. Faut que t’apprenne à te remettre de tout en picolant. »

Vandam n’aime pas ceux « qui se la jouent », ni « les forts en gueule ». Il les remet à leurs places avec des coups de poings bien décochés, qui « font mouche ». Mais un jour, à force de jouer aux justiciers, les choses ne vont pas tourner à son avantage… Et la dernière partie du livre est inattendue !

Lors de la Révolution de velours, il était dans l’« Avenue nationale », en droite ligne ; c’est lui qui a donné le 1er coup ! Il est fier de cela, et se vante d’avoir entraîné la chute du communisme tchèque !



Je sors un peu étourdi de ce livre ! « Avenue nationale » est un drôle d’objet littéraire, inclassable, violent car sans concessions, et tellement fascinant en même temps !

Je suis admiratif du style particulièrement atypique de Jaroslav Rudis.

J’avais précédemment beaucoup aimé son roman graphique « Alois Nebel », mais ici c’est encore autre chose et c’est davantage puissant.

Cet anti-héros, qui nous inspire de la répulsion, est en fait un laisser pour compte du monde moderne, qui fait partie d’un prolétariat déchu.

Ce livre, paru en français en 2016, donne à réfléchir sur la montée du populisme dans les pays de l’Est. Il est tout à fait d’actualité !

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La fin des punks à Helsinki

Ole tient un bar quelque part en Allemagne de l' Est , moi je dirai Berlin Est mais ça c'est mon avis , rien dans le récit ne permet de deviner où ça se passe .

C'est un endroit où on fait beaucoup de travaux , les murs bougent , un peu de sable coule même des murs du bar , les verres s'entrechoquent , un endroit où il y a beaucoup de nouveaux habitants parce qu'ils trouvent que c'est un endroit ' cool' , donc ses anciens habitants on du démenager car c'est devenu trop cher pour eux .

Ole a quarante ans , adolescent il a été punk , il l'est d'ailleurs encore un peu , il a décidé de ne plus avoir de femme dans sa vie , chaque fois ça foire , on devine qu'il est triste sans savoir pourquoi et puis au fur et à mesure du récit , on comprend qu'il s'est passé quelque chose dans la vie d' Ole , quelque chose dont il n'a jamais guéri et qui le hante .

J'ai appris énormèment avec ce livre sur la vie ' a l'Est ' ; bien plus que dans les livres d'histoire . Les jeunes écoutent la radio polonaise qui passe des programmes comme ' a l'Ouest ' , ils regardent la télévision polonaise car il y a des feuilletons comme à l'Ouest .

La jeunesse est brimée , surveillée , il n' y a aucun espoir et malgré tout elle espère comme toutes les jeunesses du monde .

Autre voix dans ce livre , Nancy qui habite en Tchéquie , qui est également punk qui a des rêves de liberté , pour nous de ' l'autre côté ' , c'est incroyable de penser que deux ans avant la chute du mur , il n'y avait aucune liberté , aucun espoir .

Le père d' Ole renonce à se battre le jour où il ne sait plus faire l'entretien de sa voiture , le temps de l'électronique sonne le glas des nombreuses qu'il passait avec ses voitures , il gardera toute sa vie , une nostalgie de sa ' Wartburg '

Il y a tellement de choses à dire sur ce roman , le passé et le présent s'entrecroisent comme l'histoire d' Ole et de Nancy .

Maintenant , Ole se bat pour garder un peu de l'époque de son adolescence , son bar qui donne son nom au roman , est le seul de la ville a être fumeur , on n'y mange pas encore bio comme partout ailleurs .

L'explication du titre est émouvante , j'ai adoré ce roman , merci à Internet qui m'a permis de découvrir ce roman encore méconnu chez nous , c'est un livre que je ne suis pas prête d'oublier .
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Avenue Nationale

Avenue Nationale n'est pas un livre ordinaire. Vandam, le personnage principal, n'a rien d'un héros littéraire. Au contraire, c'est un extrémiste, bagarreur, ancien taulard et fan de Jean-Claude Van Damme. Bref, au premier abord, il semble difficile de s'attacher a lui. Pourtant au fil des pages, on voit clairement que la vie n'a pas épargné notre héros, et on arrive a lui trouvé quelques excuses :

"Et Mrazák dit : Vandam, mon père disait toujours que ton père, il savait toujours mettre de l'ordre ici.

Et moi, je dis rien et je bois.

Et Mrazák me dit : D'ailleurs, c'est bizarre, pas vrai ? Quand t'es jeune, tu détestes ton père. Et plus tu vieillis, plus tu lui ressembles. Et pour finir t'es la même brute que lui. La vie, c'est rien que des mystères cosmiques, pas vrai ?

Mais moi, je veux rien dire et je vais pisser."



Pourtant, Jaroslav Rudis signe ici un très bon roman. A travers son héros, on découvre la République Tchèque populaire, son histoire (le livre est extrêmement bien documenté). C'est cru, l’écriture est un langage parlé mais le livre se lit très vite. "Ils te mettent dans le crâne qu'en ce moment la guerre est de l'autre côté de la planète et que c'est vachement loin, que c'est sûrement une planète tout à fait différente de celle sur laquelle tu vis.

Ils te mettent dans le crâne que t'as du bol de pas devoir partir à la guerre, parce que tu vis dans un bassin de la Bohême où règnent la calme et la paix.

Et où les guerres se déroulent aujourd'hui uniquement dans ton ventre.

Si tu prends du porc-chou-boulettes et de la bière, c'est un vrai Stalingrad que tu vivras dans tes boyaux."



C'était ma première rencontre avec l'écrivain tchèque et je suis bien tentée d'en découvrir plus.
Lien : http://missmolko1.blogspot.i..
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Alois Nebel

Alois Nebel est un superbe roman graphique, une bande dessinée pour adultes, parmi les plus évocatrices de ces dernières années en République tchèque.

On doit cet ouvrage, traduit en français, à la maison d’édition « Presque Lune », basée à Rennes, qui est une ville que l’on peut qualifier de « tchécophile », car elle est jumelée avec la ville morave de Brno. Et Rennes est aussi la terre d’exil de Milan Kundera.



Ce roman graphique est constitué de trois tomes qui ont été compilés : « Bily Potok » (« Le ruisseau blanc », c’est le nom d’une commune de Moravie) paru en 2003, « La gare centrale » (c’est la gare centrale de Prague) paru en 2004, et « Zlate Hory » (Les monts d’or) paru en 2005.



Le dessin en noir et blanc de Jaromir Svejdik (Jaromir 99) est très beau et très fort. Il attire l’œil immédiatement, avec ses contours anguleux et ses contrastes très prononcés. Son style installe une atmosphère brumeuse et inquiétante. Son trait est de grande maîtrise, cru et brutal.

C’est intéressant, car non seulement le dessin donne une atmosphère noire, un peu étonnante, qu’on retrouve souvent dans les pays de l’Est, ou à Berlin, mais avec le texte, cela apporte encore davantage une dimension étrange.



Cette trilogie a été scénarisée par l’écrivain Jaroslav Rudis, qui s’est inspiré de son grand-père cheminot, Alois Rudis, pour écrire l’histoire d’Alois Nebel.

Alois Nebel est chef de gare à Bily Potok, une petite commune des Sudètes, une région montagneuse de Tchéquie à la frontière avec la Pologne.

On est à la fin des années 80, et le régime communiste s’effrite. Alois Nebel regarde passer les trains,

il ne peut se défaire des images du passé, de ses souvenirs de l’après-guerre, quand les décrets d’Edvard Benes (chef du gouvernement tchécoslovaque en exil) exproprièrent et expulsèrent les Allemands de la région des Sudètes.

Ces transferts massifs de populations dans cette région sont à ranger au nombre de ces mille blessures du 20e siècle, qui même près de 70 ans plus tard, peinent à cicatriser.

Alois Nebel raconte l’histoire de ces blessures, que certains essaient péniblement d’oublier, quand d’autres veulent venger le mal subi.

Alois Nebel est en quelque sorte le représentant des dépositaires impuissants du souvenir vivant des tragédies passées.



Alois est représenté rondouillard, moustachu et binoclard. Il est né dans cette région des Sudètes, cette partie du nord de la Tchécoslovaquie annexée par le 3e Reich en 1939.

(Nebel signifie « brouillard » en allemand)

Etant enfant, Alois a été témoin de spoliations et d’évacuations forcées.

Il vit seul, au rythme des horaires ferroviaires, soucieux de ponctualité. Il ne vit que pour son métier.

Il dort mal. Il a très souvent des hallucinations, des sortes de flashes qui le renvoient dans le passé, où se mêlent des drogués, un meurtrier, l’Armée Rouge et des trains de déportés.



Alois Nebel est un homme ordinaire au destin extraordinaire.

Il a vu passer les trains remplis de soldats allemands et de juifs en route vers Auschwitz.

Puis après la guerre, il a vu passer des trains remplis d’Allemands forcés à l’exil, obligés de quitter la Tchécoslovaquie, alors qu’ils n’étaient pas tous nazis et vivaient dans la région depuis toujours.

Alois devient fou quand il prend conscience de qui remplit les trains. Il devient obsédé par les trains, les horaires, l’Histoire. Il répète que seuls les gens deviennent fous, pas les trains !



Alois fait quelques jours d’hôpital psychiatrique avant de se retrouver comme un clochard à la Gare Centrale de Prague. Cette gare, cela faisait longtemps qu’il rêvait de la visiter. Heureusement il y connaîtra l’amour…

Il y a aussi Vasek (Wachek), qui travaille également à la gare et profite de la mise à pied d’Alois.

Il y a le père de Vasek et tous ses amis qui font de la contrebande avec les Russes et les Polonais (pour distinguer la nationalité des personnages, dans les bulles, deux typos sont utilisées, dont une imite les caractères cyrilliques).

Ces contrebandiers sont pourris, corrompus, et bien plus nocifs que ce que l’on pourrait croire…

Enfin, il y a le surgissement du passé, sous plusieurs formes. C’est notamment un muet, qui arrive d’on ne sait où, que tout le monde rejette, que les policiers interrogent, et qui va assumer une vieille vengeance, à laquelle tous les autres personnages sont plus ou moins liés…



Cet ouvrage est très bien documenté. Il est très riche de références historiques et culturelles de bout en bout. On en sort enrichi.

L’histoire de la Gare Centrale de Prague, avec son hall de verre unique dans l’Empire austro-hongrois est très intéressante, les montagnes à Zlate Hory, qui attiraient les Prussiens, car elles contenaient de l’or, la Légion tchécoslovaque après la 1re Guerre mondiale, légion dont le grand-père d’Alois faisait partie, etc. Des astérisques dans les textes des bulles renvoient en annexes vers des explications concernant des personnages historiques et politiques, des faits historiques, des personnages du milieu artistique (écrivains, chanteurs, groupes), etc.



Ce roman graphique est de superbe qualité avec ses dessins très expressifs et épurés, qui vont à l’essentiel et sont très appropriés pour nous conter cette histoire chaotique, longtemps refoulée d’un pays et les répercussions sur sa population.

A la fois polar cruel et histoire d’amour, bande dessinée politique, réflexion historique, cette trilogie ferroviaire est captivante.

Alois Nebel peut être lu comme une chronique du siècle dernier.

Il propose une réflexion pertinente sur la difficulté à s’affranchir des traumatismes du passé.



Tous les thèmes évoqués, sont des thèmes chers à Jaroslav Rudis : les frontières, les traces de l’Histoire, la présence du passé, un monde qui n’a plus de présent et qui n’a pas encore de futur, un personnage qui doit trouver sa place dans un monde qui n’existe plus…

Jaroslav Rudis est notamment l’auteur de deux romans traduits en français : « Avenue Nationale » (2016) et « La fin des punks à Helsinki » (2012).

Le roman graphique Alois Nebel est paru en France en 2014, après son adaptation cinématographique qui a été nommée « Film d’Animation Européen de l’année » en 2012.

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La fin des punks à Helsinki

Voici le point de vue d'une élève de 15 ans qui a dû lire ce livre dans un contexte scolaire :

Je suis certainement encore trop jeune pour saisir les subtilités de l'histoire, donc je ne pense pas être à même de pouvoir juger correctement ce livre. Cela dit, je suis contente que mon prof de français nous ait dit de le lire car cela change des habituels classiques que l'on lit au lycée.

La fin des punks à Helsinki alterne entre les points de vue de Ole, un homme contradictoire qui a eu une vie animée et qui cherche à se reconstruire, lui et son bar, et Nancy (d'ailleurs, c'est seulement à la fin que l'on apprend son nom, tout du moins selon moi) qui parle sous forme de journal intime avec des mots allemands et anglais. Les deux personnages sont touchants, et j'ai bien aimé retrouver la voix de Nancy qui apportait une terrible touche de réalité de la vie des gens suite à la catastrophe de Tchernobyl.



Je ne suis pas vraiment habituée à lire ce type d'histoire, d'écriture ; ceci dit, j'ai été agréablement surprise. J'ai parfois été un peu... larguée par les personnages, les réactions ou seulement le changement de narrateur. Il y a certains points qui sont très flous pour moi, mais toujours est-il que j'ai compris le sens général et j'ai trouvé ce livre d'une justesse bouleversante.

Je conseille ce livre à toute personne ayant un cœur, personne de préférence adulte.
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Die Stille in Prag

Un peu de plus et je l'avais oublié celui-là! Il faut dire que l'enfant terrible de la nouvelle littérature tchèque ne m'a pas convaincu. C'est que soit il est trop raffiné pour moi, soit le contraire, soit je n'ai rien compris à l'histoire. Dans ce court livre l'auteur dresse un bilan catastrophique de Prague en se moquant des visiteurs, des étrangers habitant dans la ville et des admirateurs de Prague en général. C'est son droit, et bien que faisant partie des vieux croulants sentimentaux amoureux de Prague, je ne pense pas avoir découvert là (ni ailleurs) le paradis sur terre. Mes lecteurs germanophones sont convaincus d'avance, surtout s'ils ont lu mon petit dernier "Böhmische Silberhochzeit". Alors Prague ville pourrie dans tous les sens du terme, pourquoi pas? Et bien c'est très simple, d'abord c'est trop facile et puis l'auteur lui-même tombe dans le panneau en décrivant Berlin, Barcelona et Lisboa d'une manière on ne peut plus superficielle voire complètement kitsch! En plus, concernant Lisboa il s'est servi de manière un peu trop voyante de livres et films autrement plus convaincants dans la version originale. Pessoa à la sauce Rudis non merci! Un livre de plus non traduit en francais qui, si cela ne tenait qu'à moi, pourrait garder ce statut en général peu enviable.
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La fin des punks à Helsinki

J'ai vraiment apprécié cette ambiance douce amère. Magnifique travail, magnifique traduction...
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Avenue Nationale

Long monologue, entrecoupé d’un court récit à la troisième personne, Avenue Nationale est l’histoire de Vandam, peintre en bâtiment dont le fait de gloire est d’être celui qui, en 1989, aurait lancé la Révolution de Velours en donnant le premier coup lors d’une manifestation sur l’avenue Nationale.

Pas sûr que tout cela ait véritablement servi Vandam. Pas sûr non plus qu’il le comprenne vraiment, ce fan de Jean-Claude Van Damme fasciné par la violence, obsédé par l’idée qu’il faut être constamment prêt à se battre pour sa vie et pour maintenir l’ordre. L’ordre tel qu’il le voit, du moins, lui qui aime à tendre le bras autant pour attraper une chope de bière que pour faire ce qu’il appelle pudiquement le salut romain.

De ce discours confus d’un homme submergé à la fois par son désir de puissance et son impuissance, obsédé par un ordre illusoire qu’il ne saurait lui-même respecter mais dont il attend des autres qu’ils s’y plient, Jaroslav Rudis extrait un portrait en creux d’une classe populaire tchèque délaissée et gagnée par le populisme le plus crasse, nourrie d’une pensée politique pour le moins trouble, mais surtout maintenue dans la misère et l’ignorance.

De la nécessité d’enchaîner 200 pompes par jours pour être en mesure de survivre à la convocation de l’esprit des antiques Germains en passant par les considérations sur les arbres ou les relations homme-femme, on est partagé entre affliction et rire nerveux face à une logorrhée qui finit parfois par approcher de la poésie.

Autant dire qu’il faut parfois s’accrocher face à ce drôle d’objet littéraire qui, pour autant, n’est pas dénué de charme ni d’intérêt. Une véritable curiosité.


Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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La fin des punks à Helsinki

Une histoire à deux voix (presque 3 à la fin...), on change donc de narrateur durant le récit.

2 personnages, 2 visions d'une époque et d'une région.

D'un coté un ancien punk d'une quarantaine d'année, nostalgique et désabusé. Il tient dans les années 2000, un bar en Allemagne de l'Est, le fameux "Helsinki". Un bar atypique, pas familiale, ou l'on peut picoler (bière, šnit) bien sur mais aussi fumer et voir des films porno des années 20 dans une salle de cinéma pour les initiés qu'il a découvert derrière un mur creux au fond de son bar!!!

Il y ressasse les souvenirs de leur époque, de leur groupe de musique qui était en tournée et devait terminer à... Helsinki avant de se rendre compte que leur producteur était un ancien de la Stasi.

Dans son bar, les anciens et nouveaux rebelles y sont les bienvenus au contraire de la morale bien pensante.

Son bar va être fermé par les autorités car on construit une autoroute souterraine et les vibrassions des travaux font trembler les murs et menacent l'habitation.

Intervention aussi de sa fille qu'il n'a pas vu depuis 15 ans et qui est encore bien motivé et activiste.

Deuxième personnage, une petite punk qui vit en Tchécoslovaquie en 1987 et qui va avoir 17 ans. Elle est rebelle, à des rêves d’espoirs, est en révolte contre ses parents, l'école, le système, les flics... Elle s'inquiète des conséquence du nuage radioactif de Tchernobyl qui provoque les premiers soucis de santé.

Elle veut vivre librement, avoir son petit copain, fumer, picoler et écouter les punks de Die Toten Hosen !!

Elle nous livre le récit de son journal intime "La vallée des Sans Cervelle".



Au travers de ces différents personnages (et de plein d'autres dont on suit les errances et difficultés) sont évoqués la vie à l'est dans les années 80-90 entre répression contre ce qui sort du moule, collision entre communisme et début du capitalisme.

C'est intéressant à lire.

A noter :

Le changement de narrateur peut parfois surprendre.

Certains mots sont laissé en allemand et avec une rubrique traduction à la fin.

Il y a un "manifeste des gens beaux" (un pamphlet contre la modernisation, la société de consommation, les bobos et pour un activisme violent) qui est une TRES longue phrase de 20 pages !!! Ce n'est pas courant !!!

J'aurais (à tire perso) bien aimé avoir un peu plus de "bande son" dans ce récit avec les autres groupes à l'écoute pour ces jeunes et vieux que ce soit au travers de l'écoute de leur radio polonaise ou des vinyles et autres cassettes de contrebande qui s'échangent.
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La fin des punks à Helsinki

Ole tient un bar quelque part en Allemagne. A l’est pour préciser. Même si le mur est tombé il y a un bout de temps maintenant. Un bar d’habitués, piliers de comptoir, nostalgiques, ou nouveaux rebelles. Un bar où on ne mange pas bio, où il n’y pas d’espace pour les poussettes, et où l’on peut fumer. Un bar à son image, sa deuxième maison, refuge pour tous ceux qui en ont leur claque du discours ambiant bio bien-pensant à tout bout de champ.

Ole est un ancien punk. Son groupe Automat a eu ses heures de gloire à une époque. Une époque lointaine à ses yeux, où tout était encore possible, où il ne vivait que par révolte, au son des Dead Kennedy’s et des Pistols. Aujourd’hui il a 40 ans, et il pose un regard désabusé sur un monde qu’il n’a plus la force de faire bouger. Alors il mène son bout de chemin comme il peut, avalant ses pilules contre la mort, s’interdisant toute histoire d’amour et diffusant de vieux films porno dans l’arrière salle de son bar. Son bar, où il croise Lena, confidente un brin névrosée, ou encore son vieux pote Frank, ex acolyte d’Automat, toujours concentré à écrire son histoire du monde.



Une deuxième voix se glisse dans le roman. Nous sommes 1987 en Tchécoslovaquie. Nancy à dix-ans et elle est punk. Elle le revendique avec sa crête, avec ses potes, avec ses idées, avec sa musique. Elle passe son temps à imaginer un monde nouveau, du moins renverser son monde actuel.

Les années 80 à l’Est, entre répression communiste et premières heures du capitalisme, les frontières infranchissables, un nuage radioactif au-dessus de la tête. Elle note tout dans son journal, médite sur ce qui les attends, se révolte, gamberge sur les conséquences de Tchernobyl.

Pour l’heure, son avenir immédiat, c’est le concert des Die Toten Hosen à Plzen.



Jaroslav Rudis n’est pas franchement punk mais il faut bien le dire, il fait mouche. Le roman a d’ailleurs été très bien accueilli dans les milieux alternatifs tchèques, et à juste titre.

Un roman punk qui se situe de l’autre côté du mur, l’occasion d’évoquer les désillusions sociales et politiques et la contestation sous l’oppression, car il est certain qu’être punk dans les années 80 derrière le rideau de fer n’était pas une simple révolte contre des parents vieux jeu.

Mais le punk c’est aussi les beuveries, la drogue, les bastons. Quand tout se mélange et que les combats mutent, quand les uns vieillissent, le regard désabusé devant un monde qui bascule dans l’individualisme et les causes personnelles, l’œil triste qui a vu trop de morts. Et les plus jeunes, qui se raccrochent à ce qu’ils peuvent, avec leurs nouveaux moyens de lutter.



Excellent roman à découvrir sans tarder !
Lien : http://casentlebook.fr/la-fi..
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Avenue Nationale

Ce qui marque avant toute chose, c'est le style de l'auteur. Résolument moderne et oral. Brutal parfois, direct et poétique. J'ai peu de références en la matière, mais je le rapprocherais d'un écrivain étasunien dont j'ai lu quelques livres, Larry Fondation (ici, ici, et là). C'est âpre, rugueux et ça dérange. Heureusement que le livre est court et aéré, 500 pages du même calibre et j'aurais sans doute abandonné, mais je dois dire que le rythme, le style, et l'énergie qui se dégage m'ont largement tenu jusqu'au bout.



Ce sont les propos et la vie d'un homme qui a sans doute eu de l'espoir en 1989 et qui n'en a plus. Il a toujours vécu dans le lotissement préfabriqué, n'en est que peu sorti et n'espère plus grand chose de la vie. Les espoirs sont derrière lui, oubliés avec la came et la taule. Lorsqu'il parle avec ses copains de boisson, on se rapproche des brèves de comptoir, qui parfois sont plus profondes qu'il n'y paraît : "Quand t'es jeune, tu détestes ton père. Et plus tu vieillis, plus tu lui ressembles. Et pour finir t'es la même brute que lui. La vie, c'est rien que des mystères cosmiques, pas vrai ?" (p.85)



Voici donc la vie d'un néoextrémiste, mal dans sa peau, violent et irritable. Un type ordinaire totalement perdu dans le monde contemporain qui va trop vite pour lui. Il sait d'où il vient, mais tout a tellement changé vite qu'il ne sait plus où il est, où il va et ce qu'il va transmettre à son fils. Alors, il transmet ce qu'il connaît bien : la peur de l'autre, la violence : frapper avant de se faire frapper. Pour lui la paix n'est qu'une période entre deux guerres. Il s'inscrit totalement dans la montée des fanatismes et des extrémisme à laquelle on assiste depuis plusieurs années un peu partout en Europe, en France itou, puisque nous avons l'un des -sinon le- partis d'extrême droite le plus fort.



Jaroslav Rudis met tout cela en mots très brillamment. Vandam n'est pas tout noir, ce serait trop facile. Il n'est pas vraiment fréquentable, certes, il est perdu, largué. La lecture est dure mais belle et rapide, et si certains passages sont un peu longs, eh bien on les passe vite pour se retrouver quelques pages plus loin.



Mirobole m'a habitué à des textes forts, barrés, décalés, ce roman ne déroge pas à cette règle. Dérangeant et pas confortable. Bonne pioche pour la maison d'édition.
Lien : http://www.lyvres.fr
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Avenue Nationale

Il est tchèque, peintre, costaud, bagarreur, militariste, extrémiste – avec un penchant pour le salut romain. Il a tâté de la taule, de la drogue. Quel est son nom d'emprunt ? Un indice : monsieur fait désormais ses deux cent pompes par jour. Vandam ! C'est à la taverne qu'il s'envoie des bières avec ses potes et c'est aussi là qu'il joue des poings. Vandam affirme avoir déclenché les événements qui ont engendré la Révolution de 89. Cette forte tête, ce paumé a des trucs à nous dire, écoutons-le...







C'est quoi cette avalanche de propos haineux délivrés par un facho à la petite semaine qui déblatère des saloperies à longueur de récit ? Psitt ! On se pose et on développe ? Ce n'est pas le genre de type que nous inviterions pour fêter l'anniversaire de la Révolution d'Octobre parce que Vandam il fait plutôt dans le Velours question révolution. Et pour lui, le rouge n'est pas un symbole, c'est la couleur de la peinture qui tâche ses mains, « ce n'est pas du sang » répète-t-il à l'envi – l'emploi fréquent de l'anaphore dans le texte fait penser à un acte de propagande mais il a plutôt un caractère incantatoire. En écho de ce long et terrible monologue, l'auteur nous propose de porter notre regard sur la destinée de la République Tchèque et a fortiori celle de l'Europe vacillante. Mais si cet homme hisse le pavillon noir avec des yeux exorbités ce qu'il tente de nous révéler s'inscrit dans le crépuscule du deuil, de l'intime.







« Moi, je suis un patriote. [...]



Le dernier guerrier.



Le dernier Romain. »







Vandam est le héros négatif par excellence. Violent, malsain, néo-nazi, il crache ses urgences, comme on vomit un mauvais vin. Ses éructations ne sont pas passagères, il les scande puisqu'il en va de l'avenir de l'Homme. Il s'est forgé cette idéologie en se tournant vers l'histoire des grands hommes de guerre, ses livres de chevet dégagent des odeurs de poudre à canon, de sang, de conquêtes. « Y'en a qu'un seul qui peut gagner. » Mais une question nous turlupine au fil des pages : à qui s'adresse-t-il ? Cependant, à la frange de ses délires paranoïaques l'image du père s'insinue, son père dans la forêt, sous l'orme mythique et son père mourant qui va basculer dans le vide. La forêt et le marécage. La forêt, mère protectrice. Le marécage qui engloutit, absorbe. Vandam ne sera jamais une proie. Il scande :







« Ils te mettent dans le crâne que t'as pas à avoir peur.



Ils te mettent dans le crâne que ça, c'est pas du tout la crise.



Ils te mettent dans le crâne que le monde s'est sorti d'emmerdements plus graves.



Ils te mettent dans le crâne que ça va tenir.



Ils te mettent dans le crâne que ça durera toute l'éternité, que rien va s'écrouler.



Ils te mettent dans le crâne que tout baigne.



Ils te mettent dans le crâne qu'ils gardent le contrôle. »





La suite sur : http://bobpolarexpress.over-blog.com/2016/10/konzentration-junge-avenue-nationale-jaroslav-rudis.html
Lien : http://bobpolarexpress.over-..
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Avenue Nationale

Je ne vais pas faire de détour : Ce roman est un vrai paradoxe. Nous n’avons pas de véritable histoire, mais vraiment des tranches de vie du personnage principal Vandam.



J’ai eu du mal à accrocher avec ce personnage qui se veut comme étant un homme ayant une réflexion sur la société qui l’entoure, mais qui, au final, reste un pilier de comptoir. Parfois, il m’a fait le même effet que le personnage principal de « Je vais m’y mettre » (une critique arrive bientôt), dans le sens où ils disent une chose et font l’inverse de cette chose. Je préfère quand le personnage a au moins cette honnêteté envers lui-même. Vandam est décrit dans la quatrième de couverture comme un néo-extrémiste, mais si on l’écoute, pas du tout..



Avec Valentine, nous avons vraiment eu du mal avec ce roman. Ecrire cette critique a été compliqué et Valentine a eu le même soucis que moi. Ce livre est une expérience, je pense, un genre vraiment à part que je peux conseiller qu’aux personnes qui souhaitent sortir des sentiers battus. Par contre, je ne dis pas que vous en sortirez indemne.
Lien : https://popcornandgibberish...
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Alois Nebel

On est donc tour à tour fasciné par un scénario comme une balade poétique dans une société en mutation et en plein doute, et paumé dans une histoire dilatée à l’excès et sans véritable ressort dramaturgique
Lien : http://www.bodoi.info/alois-..
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Oiseaux de nuit

Dans la nuit, deux amis déambulent, allant de bar en bar au rythme de leurs fermetures successives, éclusant les bières et se livrant à des discussions spirituelles sur les difficultés de la vie en société, sur les amours déçus et, finalement, sur soi-même.
Lien : https://actualitte.com/artic..
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Avenue Nationale

C'est l'histoire d'un sale type.



Un sale type dont on ne connaîtra pas le nom, uniquement ce surnom ridicule -Vandam- dont il a été affublé parce qu'il s'astreint à faire 300 pompes par jour, et que ses capacités intellectuelles sont a priori inversement proportionnelles à l'ampleur de sa masse musculaire.



Un type qui vit depuis toujours dans une cité de la banlieue de Prague, le célèbre quartier Severní Mesto, immense lotissement de préfabriqués construit dans les années 70 et 80, dont les habitants végètent à la limite de la misère, entre ennui et hébétement face aux mutations d'un monde dont ils se sentent exclus.



A quelques pas de ce marasme urbain, survivent les vestiges d'une forêt ancestrale, qui a conservé à ses yeux sa dimension fantasmagorique et ténébreuse, et dont la présence le hante (il a même aperçu un loup à ses abords)... Une forêt dans laquelle, il en est persuadé, sa mère, devenue folle après le suicide de son mari alcoolique et violent, s'est définitivement perdue.



Il a connu la prison, la drogue, mais ce n'est pas ce qui nous le rend si antipathique. La répulsion qu'il nous inspire naît de la doctrine qu'il professe, des conceptions qu'il expose en une longue logorrhée scandée à l'attention d'un interlocuteur que l'on devine être son jeune fils, qu'il voit en cachette suite à un jugement lui interdisant de l'approcher.



Il lui assène ainsi, en une succession de phrases brèves, coupantes, ses leçons de vie très personnelles, alimentées par une morale guerrière. Convaincu que l'existence est un combat permanent et que la violence est par conséquent un mal nécessaire, abreuvé de fantasmes d'héroïsme romanesque qu'il entretient par la lecture exclusive de récits de batailles et de stratégie militaire, il martèle l'importance de jouir d'une condition physique et d'une force mentale optimales, car indispensables à la survie.



La conviction qu'a le héros de sa grandiloquence, de la justesse de son raisonnement, est à la fois effrayante et pathétique. Au fil de son discours rétrograde et délétère, sous la virilité ostentatoire et obtuse dont il l'enveloppe, transparaissent son racisme ordinaire, sa mesquinerie, sa mauvaise foi. Plus qu'un menteur, toutefois, Vandam est un être qui s'illusionne sur lui-même, passant certains des événements qu'il a vécus au crible d'une interprétation qui lui donne le beau rôle, à ses propres yeux comme -du moins le croit-il- à ceux des autres...



Et il ne faut pas creuser beaucoup plus pour deviner, sous ses airs belliqueux et pontifiants, la détresse et l'égarement... sa quête d'identité, d'une place dans une société dont l'évolution, les nouveaux codes lui échappent, est sans doute le reflet du désarroi et du sentiment de solitude d'une nation écartelée entre la nécessité de s'ouvrir au monde, et l'angoisse d'y laisser une part de son intégrité.



"Avenue Nationale", en rapportant une parole que l'on préfère habituellement ignorer, brosse le tableau d'un désespoir sordide et amer, terreau propice à la prolifération de la haine et du repli sur soi.


Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Avenue Nationale

Vandam, un surnom à la sauce tchèque pour un fan de Jean-Claude, amateur de pompes en série, de bière au comptoir, de bastons et grand défenseur du salut romain. Ça donne un aperçu du personnage… Et pourtant, ça va plus loin que ça.



Du rude boy pur jus tendance facho qui incarne ici un anti héros dans toute sa splendeur. Vandam frise la quarantaine. Il a connu la drogue et la prison, il s’est aujourd’hui un peu rangé, avec un job de peintre en bâtiment, il vit dans une cité grise de Prague et se ressource en buvant des coups à la taverne, où il peut refaire le monde avec ses potes, et s’imaginer un autre futur avec Lucky, la serveuse. En attendant, on le sent rempli d’amertume avec un esprit revanchard couplé d’un sentiment d’injustice, et il propulse dans ses idées politiques toutes ses frustrations.



Le personnage n’est pas spécialement charismatique, il est même franchement agaçant. Nous assistons dans ce roman à des monologues intérieurs assez obsessionnels, qu’il n’est pas toujours évident de suivre, où l’on peine à se familiariser, à s’identifier. L’auteur joue de ce manque de dialogue. Il nous coupe la chique, et une fois refermé le bouquin, on est à la fois déstabilisé et sidéré. C’est un grand plongeon en République tchèque, avec un fond d’histoire et de culture locale qui pose l’ambiance. Nous sommes à la fois dans l’instant et dans le souvenir, avec ce texte à sens unique qui véhicule une sorte d’urgence absolue, tout en se recroquevillant dans un passé idéalisé.



C’est un roman très sec, entêtant, violent, rude, beaucoup moins fluide que son précédent, La fin des punks à Helsinki. En revanche nous restons dans un thème similaire, à savoir la marge. Ici il change de bord, ce gars-là est imbuvable et un peu au ras des pâquerettes. Avec le recul on prend la teneur du bouquin, l’auteur nous parle de son pays, du climat social et politique actuel. Alors c’est très actuel, même si ce type d’extrémiste n’est pas nouveau. On le découvre peut-être dans les médias et il se répand sans doute davantage, mais il est toujours intéressant d’en parler. Pour autant, le credo « il y a un homme sensible derrière ce facho » (je raccourcis mais l’idée est là) me laisse perplexe. J’imagine bien les motivations de l’auteur mais je m’interroge.



Toujours est-il que Jaroslav Rudis est un écrivain à découvrir et à suivre.
Lien : http://casentlebook.fr/avenu..
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Avenue Nationale

J'ai terminé ce bouquin il y a seulement quelques jours et je dois vous avouer que sans la quatrième de couverture, j'aurais été bien en peine de vous raconter l'histoire. Honnêtement, je n'ai rien mais alors rien compris à ce bouquin. Dès le début, Vandam s'adresse directement à nous, il nous fait part de ses pensées, de son histoire, de ses amours, du nombre de pompes qu'il fait tous les jours (et nous conseille d'ailleurs d'en faire autant). Et on sent vraiment qu'il y a quelque chose qui tourne pas rond là-haut, l'araignée, sa toile et sa réserve de moustiques et toute une colonie de vacances. Parce que le bonhomme, il répète TOUT LE TEMPS la même chose. Je comprends l'effet stylistique du truc, ça en devient presque poétique, le texte sonne comme un rap ou un slam, mais mes aïeux, à lire, c'est d'une pénibilité. Peut-être qu'en récitation, en pièce de théâtre, j'aurais mieux intégré ce qu'a essayé de me dire l'auteur mais là, autant vous dire que c'est tombé dans l'oreille d'une sourde. Je me suis même rendu compte qu'au bout d'un moment, les mots défilaient devant mes yeux sans que je les voie et encore moins, que je les comprenne.



Les phrases sont courtes, le ton laminaire, ça aurait pu être beau ou même carrément épique (Vandam a l'air d'avoir vécu beaucoup, son expérience aurait pu être passionnante), c'est pourtant retombé comme un soufflé dès les premières pages pour moi. Le seul point positif est peut-être cette virulence, cette violence face aux discours de ces politiciens qui n'ont pas la moindre idée de comment vraiment s'adresser à ce genre de personnes. Violence qui passe d'une débilité profonde au début à un plaidoyer agressif mais plus intelligemment tourné vers la fin. Néanmoins, j'ai beaucoup de mal à trouver de la beauté dans le message que Vandam véhicule et j'ai encore plus de mal à éprouver de la compassion pour un nazi, même s'il dit ne pas l'être.



Entendons-nous bien : je n'ai pas aimé du tout et si ce livre n'avait pas été pour Babelio, je l'aurais sans doute abandonné dès les cinq premières pages. Après, je n'aime pas particulièrement descendre un livre, surtout quand celui-ci me fait me sentir bête de ne pas l'avoir compris. Je me rends bien compte qu'il n'était pas fait pour moi et je ne sais pas du tout à qui je pourrais le conseiller. Toutefois, je suis tombée sur quelques bonnes critiques (en voilà une) qui pourraient peut-être convaincre certains d'entre vous. Par contre, je vous avoue que je n'ai pas du tout l'impression d'avoir lu le même livre de ces chroniqueurs, vous voilà prévenus ^^.
Lien : http://merlin-brocoli.blogsp..
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Avenue Nationale

Je m'attendais au pire après les première pages... et en fait on abouti à un très réussi portrait de "déclassé"... Comment dit-on "missfit" en tchèque?
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