Salon du Roman Policier Sanary 2014 - Interview Jean Claude Beltramo par Philippe Signorelli
Dommage, car l'homme aime scruter l'horizon. Là, où pour la première fois de sa vie, il a découvert, à force de le regarder, que la terre était ronde. Il avait quoi ?, dans les cinq ou six ans. C'était sur les quais d'Ajaccio, à trois rues de chez lui. Il était venu attendre sa mère à la gare maritime, espérant la voir enfin descendre du car-ferry parmi les autres passagers. Puis, il était rentré chez lui, le coeur gros comme les autres fois. Et, comme les autres fois, il en avait beaucoup voulu à son père qui lui avait encore raconté des histoires.
Elle est partie en voyage derrière l'horizon, mais un jour elle reviendra, Toussaint.
Alors, il pose son regard sur la Canebière.
Marseille, le 28 décembre.
En ce mardi matin, l'homme descend sans beaucoup d'entrain la rue Breteuil, en direction du Vieux Port. Une barbe de deux jours, peut-être trois, lui mange le visage. Un visage sombre, fermé, aux traits tirés et aux paupières lourdes. Une gueule fatiguée, mais une belle gueule quand même, avec sa mâchoire carrée et son regard noir. Hier, il est rentré à pied pour tenter d'éliminer tout le whisky qu'il s'était envoyé. Sauf qu'en arrivant chez lui, il s'en est jeté quelques-uns de plus derrière la cravate.
C'est vrai, maintenant qu'il y pense, il a pas mal abusé de Jack Daniel's. Il en éprouve un sentiment de honte.
Quai des Belges, il cille quand l'air frais marin mêlé à l'odeur de pluie et d'asphalte mouillé lui pique la figure. Il lève la tête, examine le ciel. Rien de réjouissant, mais le décor lui va bien ! Son regard las embrasse tout le carré du port presque désert. Seules, les poissonnières attitrées s'affairent devant leurs étals, tandis que, mégot au bec et fumée dans l'oeil, des marins pêcheurs, dans leur ciré jaune et juchés sur leur pointu, désembrouillent leurs filets.
Dominant le quartier du Panier et transperçant, de son clocher illuminé, les dernières ténèbres de la nuit, l'église des Accoules égrène les premières heures de la journée.
Deux minutes après, une autre lui répond dans le lointain, peut-être celle de Saint-Laurent ou des Grands-Carmes. À quelque chose près, il est sept heures, mais, plus que l'obscurité ce sont les forts Saint-Jean et Saint-Nicolas qui barrent la vue sur le grand large.
A deux pas de là, devant lui, sous le regard acéré d'une bande de gabians criards et affamés qui dessinent des cercles blancs dans la noirceur du ciel, un chat noir, une tête de poisson sanguinolente entre les dents, détale sans demander son reste, vers un amoncellement de cagettes et de détritus entassés contre le parapet de la bouche du métro.
Dans son long manteau noir au col relevé qui accentue sa carrure, les mains au fond des poches, sa grande silhouette aux cheveux ébouriffés poivre et sel s'imprègne de l'atmosphère de la cité, atmosphère pas totalement souillée, à cette heure-là.