La plaine semblait devenue plus large, plus plate, plus vieille après la moisson. Les déchaumeuses la peignaient d’un sale jaune qui se confondait avec mon humeur grise. Je ne savais pas pourquoi, ce jour-là, le vague à l’âme qui brouillait ma joie de vivre me poursuivait depuis mon réveil… Je me dirigeais vers la maison de René, en passant, comme les gens du village disent, « par les derrières », mon chemin serpentant le long des haies des jardins et des grillages des poulaillers. C’était un chemin de contrebande qui évitait le regard curieux des vieilles planquées derrière leurs rideaux.
Je n'étais rien, rien du tout, un enfant chez ses parents instituteurs, forcé d'obéir, forcé de se taire, obligé de passer un examen imbécile…
Je voulais peut-être ressembler à ces jeunes gens des fêtes foraines, au fond de moi je trouvais ridicules. Peut-être, pour devenir ce personnage héroïque dont je rêvais, fallait-il que je passe par la case ridicule !
Malgré mes efforts, je ne devais pas être le premier ; on ne peut pas être le meilleur quand on est fils d'instituteurs, mais je devais quand même respecter les règles de la grammaire française !
La semaine s'annonçait chargée ! À l'incertitude de mon rendez-vous avec Mimi s'ajoutait maintenant l'inquiétude d'un voyage nocturne vers cette grande blonde qu'on disait dangereuses…