Et il n'y a pas que moi que l'alcool descend. Maman perd pied petit à petit. Ce faisant, apparaissent à ses lèvres des cigarettes : une, deux, puis trois... Avec le temps, maman n'échappe pas à ses démons : l'alcool, le tabac, et peut-être même pire… mais de cela je ne suis pas sûr. Avec Dana, nous l'écoutons nous parler, malheureux, sans oser une parole de travers qui pourrait faire figure de leçon de morale, de reproche, de condamnation. Car celui dont maman nous parle, tout d'abord sans l'évoquer, puis petit à petit en l'effleurant, puis en resserrant sa pensée et ses mots sur lui, pour finir à en faire un point fixe obsessionnel, celui dont maman nous parle, c'est de son mari… mon père.
Et la voilà qui détale comme une lapine de Garenne vers le lac, les seins ballottant comme des fous, pour finir sa course en plongeon gerbant. Je ne sais pas alors ce qui me prend, mais moi qui suis de nature pudique, je quitte mon slip, je le mets sur la tête et je cours comme un malade dans le sillage de Dana, le sexe qui me flagelle les cuisses - le haut des cuisses pour être précis - et je plonge à sa suite dans un splash qui me pique le ventre et ce qu'il y a en dessous. J'imagine que les gens qui nous ont vu faire sont suffoqués. Quand à Dana, elle rit tellement qu'elle en boit la tasse. Je lui fais du bouche à bouche, tendrement enlacé contre elle. Et l'on se dit, sans le traduire par des mots : "Que c'est bon de faire les cons !". Et aussi, verbalement :
- Je t'aime.
Dans la cuisine, ça bataille sec des mandibules. On entend des bruits de succion, de respiration, de mastication, de déglutition... Bref, on n'en décrit pas plus ici, s'agirait pas de heurter les âmes sensibles et donner le mauvais exemple aux enfants. De la même façon qu'on ne devrait pas s'éternisait à montrer des images d'attentat à la télé. Et bien pareil ici : on vous annonce que c'est un carnage sur le chapon haricots verts patates. Voilà c'est tout. Vous avez l'info. A vous d'imaginer, ou pas, ce qu'il en est. On ne vous en dira pas plus.
"Les Invincibles, des ados attardés !" La formule semble bonne. Quand on est ado, se croire invincible est normal. Quand on ne l'est plus, se croire toujours invincible l'est moins.
J'ai de la tendresse pour ces magazines pour jeunes filles, de candides magazines pour candides jeunes filles, en passe de s'extraire de leurs chrysalides pour s'envoler vers de jeunes mâles mal dégrossis ressemblant plus à des bourdons chauds du dard qu'à des butineurs de pistil.
Des regards masculins se posent parfois sur les jambes nues de Dana, mais j'essaie de ne pas y penser. Après tout, c'est comme un beau tableau. Ils ne vont pas le décrocher.
On défait laborieusement les longs lacets de ses chaussures orthopédiques, on lui ôte ses pompes. On lui enlève sa première chaussette de contention arrivant sous le genon. Et on lui met dans la main. D’un mouvement lent et gourd, il la porte à hauteur de son nez. Sent. Marque un temps. Fait une horrible expressive grimace, accompagnée d’un cri : « Pouah ! », avant de balancer la chaussette à un mètre maxi.
Le lendemain nous voit renaître en pleine méforme.