On estime aujourd'hui que près de cent-soixante-dix personnes ont trouvé la mort sur les pentes de l'Everest. Il est techniquement quasiment impossible de redescendre un corps de très haute altitude. La seule marque concrète en mémoire de ces disparus, sur le versant nord comme sur le versant sud, est très souvent constituée d'une simple stèle.
L'univers se réduisait à un rideau de flocons fuyant vers le gris du monde.
Lhassa, ville interdite? Avant l'immense succès des récits d'Alexandra David-Néel, les Occidentaux qui avaient vu de leurs propres yeux cette capitale mystérieuse se comptaient sur les doigts de la main.
A quoi donc, rêvent les vents du monde? Au col de La Lung-La, sous le ciel aux couleurs de stratosphère, je m'autorise parfois à croire que les songes, les prières et les destins volent ici, silencieux et invisibles, dans les grands vents de l'Himalaya.
Tout près du dernier point de fuite possible sur Terre, l'esprit se met à sourire de cette délirante distance, et s'ouvre paisiblement à cet impensable : en ce moment précis, nous sommes le monde...
La toponymie d'un sommet,son nom, parle parfois beaucoup d'une montagne. L'Everest est ainsi l'un des rares très grands sommets du globe à ne pas avoir conservé son patronyme original.
Après et plus haut, d'autres choses arrivent. Mais la véritable humanité de toute expédition s'écrit, mots après jours, dans cette immense attente silencieuse des camps de base.
1924, Mallory et Irvine; 1953, Hillary et Tensing; 1978, Reinhold Messner et Peter Habeler. Egrener ici quelques dates et de grands noms ne suffit pas à épuiser l'histoire immense de cette montagne immense.
Il faut redessiner mentalement les fils du connu, laisser se dérouler le long travelling des mémoires lointaines -- repères nécessaires, comme de fragiles étoffes tendues au bord de l'incertitude du monde.
Au plus près du sommet de l'immense pyramide, la lenteur inouïe de la progression signe l'isolement particulier de la très haute altitude.