Chez lui [August Strindberg] comme chez Ibsen, Pirandello et tant d’autres auteurs, le drame-de-la-vie prend sa place dans l’espace de la différence entre vivre et exister. En d’autres termes, le drame-de-la-vie nous révèle la privation ou même le viol du sentiment d’exister. Dans « Vêtir ceux qui sont nus », tous ceux qui la pourchassent et la mettent à nu — et plus encore le sentiment en elle, quasi paranoïaque, d’être traquée, déshabillée, en quelque sorte violée dans son intimité — empêchent précisément Ersilia d’exister : « C’est la vie ! Cette vie qui persiste en moi — Dieu quel désespoir ! sans que j’aie jamais pu, jamais, exister de quelque façon ! ». La vie sans l’existence, la vie comme manque à exister n’est pour les personnages pirandelliens qu’une « fausse vie », faite de « tant de misères et de malheurs, tant de souffrances ». Constat partagé par les créatures tchékhoviennes, notamment le Tcheboutykine des « Trois sœurs » : « Nous ne vivons pas ? Il n’y a rien en ce monde, nous n’existons pas, nous le croyons seulement… »
(p. 92)
Le tableau est un type de séquence relativement autonome par rapport à la dynamique discursive du conflit dramatique, traditionnellement organisé en scènes et en actes. Il se définit par un effet de découpe, analogue à celui que produit le cadre d'une toile de peinture. Sa vocation dramaturgique est de créer une focalisation sur un monde (un milieu, une époque) qui s'impose au spectateur avec une présence visuelle et silencieuse méconnue de l'abstraite dramaturgie classique, exclusivement fondée sur la parole.