Citations de Jean Tortel (41)
Je suis responsable
J’appelle monde où je me reconnais
J’appelle absent le regard non capté
Par le mien qui se dit regard
Je suis responsable de tout
Ce qui n’a pu se former
Ce qui était noir…
Ce qui était noir
Et tremblait
Proche de sa destruction
Poussiéreux, humide,
On ne sait pas
Ce que c'est devenu. La mort
Est toujours un peu jaune.
OUROUK
UR OU LAGASH
Les maisons seront en torchis
L'eau et la terre se séparent
Car le poisson à tête d'homme
Est arrivé. Je l'ai vu.
Depuis je suis en haut.
J'embrasse chaque nuit mon épouse invisible
Que j'attire par un grand feu.
Je ne sais quelles sont les ombres
Qui tracent les canaux, qui limitent les champs.
Mes autres femmes s'étendront
Sur mon cadavre pour brûler
Avec lui quand l'or coulera.
Têtes rondes, ô mon peuple tranquille,
Tu mesures le ciel, tu fais cuire l'argile,
Tu fixes sur des cylindres
Des modèles de jugements et de contrats
En forme de clous.
Palmée, la vieille allégorie
Descend, danseuse exacte
Avant sa mort au sol mouillé.
Bronze hors du platane
Inaltérable désormais, tant que le feu.
Il ne résonne pas. Silence
Froissé qui s’accouple
Étrangement aux rouges
Des tenaces corolles.
Mort. Je la provoque. Je la retiens
dans mes mains, dans mes yeux.
J’ai oublié, il fait nuit, le monde
qui vit, les toitures dorées, les
feuilles et les ceintures.
Fermer les yeux pour mieux
respirer son odeur. Je ne suf-
foque pas. Elle est là et je suis
cadavre, je ne suis plus que
mon cadavre, allongé et jaune
[... ]
Une espèce de gisement…
Une espèce de gisement
En apparence un tas
Qui palpite et qui suinte
Sous des os incurvés
(Finement engrenés entre eux)
Mais des fils et des plaquettes
Informent en chaîne.
Le réseau moelleux peut se rompre.
L'irrigation est nécessaire.
Pour savoir il faut
Scier les os très durs
Et comme on creuserait jusqu'au feu
Ouvrir la sphère.
Langage dénudé
Visibles cicatrices
Lividité peignant
Une peau sans apprêt
Que la sueur aigrit
Que les branches flagellent
Corps limpide hésitant
Ainsi plus dangereux
Soleil et silence à qui…
Soleil et silence à qui
A mal et noir glacis
Provisoire invoqué si
Rayonne au ventre et lance
L'ulcère intermittent pareil
À la brûlante plaque au sol.
Échancra le sommeil
Solitaire entre deux froids.
Muet, lisse et parfaitement
Rond tel est le soleil
Lointain de l'hiver,
Regard abstrait.
Nul flamboiement, mais orangé le soir
Au-dessus des platanes
Annonciateur de rien,
De nul orage.
À peine claire au grand jour
La pâleur du ciel se résout
En quelque bleu qui n'a pas d'ombre.
N'est pas le bleu profond et vert,
Couleur du corps.
PASSAGES D'HÉRODOTE
Les fourmis du désert moins grosses
Que les chiens, plus grosses
Que les renards creusent le sable
Mélangé d'or.
Elles ramènent l'or à la surface.
On le ramasse avec des sacs.
*
Je mesure ma route aux astres.
Et le soleil à droite ou bien à gauche,
Je vais aussi loin que je peux.
Je ne peux pas tout voir. On me raconte
Ce que font les hommes, comment
Les cités conquérantes meurent
Pour n'avoir pas compris l'oracle.
Le monde est mesurable, mais soudain
Un désert, ou de l'eau ou la nuit éternelle
S'interposent et nul ne sait
Comment parvenir aux limites.
Vers quelque horizon que j’avance
Plus loin je vais, plus sont étranges les façons,
Démesurés les animaux.
Il n'est qu'un lieu sur terre où les serpents qui volent
Se rassemblent — et c'est au bout.
Les hommes ne sont plus les mêmes
Quand ils sont au bord d’un espace
Infranchissable.
Ils ne vivent plus en cités.
Ce qu'on m'en dit n'est toujours pas croyable.
Les uns élèvent des huttes
De sel rose. Il en est
Qui n'ont qu'un œil, ou naissent chauves.
D'autres possèdent le phénix
Dont les ailes dorées et rouges
S'ouvrent deux fois tous les mille ans.
D'autres chassent les sauterelles
Qu'ils mêlent à leur lait
Et d'autres qui n'ont point de nom
Injurient le soleil.
…
De même que la parole trébuchera en moi pour être fondue à mon creuset et formée(gée) par mon travail, de même je ne me penche pas sur elle volontairement mais malgré moi. Or à ce moment, ce que je viens d'appeler la parole, c'est très exactement rien. Elle est mon vide et l'absence d'image en un miroir désespérément tendu.
JETER LE MOT
La parole n’est pas ailleurs
Le lys le sang la pierre sont là
Avec leur odeur leur force
Je t’aime autant que le blé
Fort à l’odeur de lance
Nulle autre neige nul autre poids
Hors d’elle je m’embarrasse
Et je m’en vais de nous
Celui qui parle ne se trompe pas
Je parle Est-ce que je parle
Un navire est perdu
Lointaine et proche
Tout est miroir
Lointaine et proche et toi
Confondue mais présente
Toujours légèrement plus proche
Que toute parole
Qu’elle naisse de toi
Qu’elle te fasse vivre
Je prononce ton nom
Qui la suscitera
Je dis herbe ou miroir
La parole est surprise
Même dans ton sommeil
Elle n’a point d’abri
Je ne sais si c’est toi
Qui parais la première
Flammé douceur verger
Je ne distingue pas
L'anti rêve
(pour Claude Royet-Journoud)
Le vers ou le réveil de son renversement.
Dedans…
Dedans
Cela circule
Par battements même la nuit
Et quand on ne sait pas
Si ça circule.
Au fond, tout ce que j’écris,
c’est dans le but de n’avoir,
un jour, plus rien à écrire.
Ne plus être embarrassé
par le souci, l’inquiétude
d’avoir à écrire et me re-
poser dans le calme, ou
une espèce de joie…
Et de l’eau
Avant la nuit.
Elle est claire
Dans les mains.
Elle nourrit les plantes,
Elle les développe.
L’eau s’enfonce et la terre
Devient chose plus lourde,
Mouvante et noirâtre,
Luisante après l’enfoncement.
Les mains trempent pour reconnaître,
Confusément aussi pour adorer
L’eau certaine et nulle autre
Que celle à qui sa pente est ordonnée
Avant qu’elle touche aux racines.
JETER LE MOT
La parole n’est pas ailleurs
Le lys le sang la pierre sont là
Avec leur odeur leur force
Je t’aime autant que le blé
Fort à l’odeur de lance
Nulle autre neige nul autre poids
Hors d’elle je m’embarrasse
Et je m’en vais de nous
Celui qui parle ne se trompe pas
Je parle Est-ce que je parle
Un navire est perdu
Lointaine et proche
Tout est miroir
Lointaine et proche et toi
Confondue mais présente
Toujours légèrement plus proche
Que toute parole
Qu’elle naisse de toi
Qu’elle te fasse vivre
Je prononce ton nom
Qui la suscitera
Je dis herbe ou miroir
La parole est surprise
Même dans ton sommeil
Elle n’a point d’abri
Je ne sais si c’est toi
Qui parais la première
Flammé douceur verger
Je ne distingue pas
ATHÈNES.
L’enfant, des figues dans la main.
Les abeilles sont là, bourdonnent dans la rue.
L’enfant s’accroche au rire du priape,
Englue le marbre de miel noir
Et les abeilles vont manger.
Au bout de la rue, les portiques
Mais blanc, beaucoup plus haut.
Eux et l’azur tremblent d’un même cri.
Les animaux sont maigres à poil ras
(Comme en Espagne).
Une flaque d’huile rancit
Au pied de la pierre votive.
Gousses de fèves écossées,
On offre aux dieux ce que mangent les hommes
Et les mêmes paroles qui
Nièrent la nuit suspendue
Sur le Théâtre.
Cela. Ou le corps.
Existe, Je sais.
Ce qui me regarde.
Forme accordée quand le jour
Reparaît cohérence
Quotidiennement violente.
Respire à côté.
Tout autre corps infligera
Sa blessure.
La chambre verte je suppose
Le beau temps que nous ferons.
Sanguine issue
D'un très beau jardin
Mourant au nord,
De colline en colline
Espère la mer,
Fibre violette
Au cœur de l'orange.