L’un des rats prit appui sur une canine pour entamer la mâchoire. Il glissa. La dent lui cassa le dos. Bientôt, il fut broyé.
Les veinules bleues se ramifièrent et s’épaissirent. Les premières qui atteignirent le cœur le firent doucement frémir.
La première contraction fit trembler le squelette.
Alors que les premiers élèves arrivaient dans le gris bleuté des petits matins d’automne, une silhouette flottait au milieu de la sacristie. Haute, étroite, elle lévitait à cinquante centimètres du sol. Le masque était encore grisâtre et les traits peu marqués, mais des cheveux moins poisseux commencèrent à pousser, une très courte mèche bouclée parvint même à se dérouler sur l’ovale du visage. La silhouette restait parfaitement silencieuse. Au-dehors s’agitait une vie fourmillante, stupéfiante d’énergie et de jeunesse. La chair humaine. Enfin.
Des factions opposées de créatures surnaturelles semblaient se livrer une guerre sans merci. Au nom de quoi ? Les hommes n’étaient que des victimes collatérales et, pour cela, on leur prêtait encore moins d’attention, des quantités négligeables de chair et de sang laissées sur le bord du chemin… À cinquante mètres d’eux, au troisième étage de l’hôpital, on avait regroupé les victimes de la foire, soignées dans une fébrilité qui ne retombait jamais. Chirurgiens, médecins, infirmières, aides-soignants, psychologues… tous travaillaient d’arrache-pied pour tenter de faire oublier au moins une part des événements et d’effacer plus tard à la surface de la chair un maximum de cicatrices… Tenenbaum, Guibal et Duchemin y faisaient des incursions fréquentes, glanaient çà et là quelques témoignages qui concordaient tous : on y parlait d’ombres qui se matérialisaient et saccageaient les installations, des ombres qui prenaient visage humain et se penchaient vers les victimes en ouvrant une mâchoire de loup ou de fauve…