Festival Voix Vives 2019
Pleins feux sur : Joël Vernet
Images et montage : Thibault Grasset - ITC Production
#Poésie #VoixVives #JoëlVernet
Ecrire, creuser dans la latérite, dans les profondeurs du paysage et dans les verbes aimer et voir. Partir perdu. Avoir aimé cette chance. La revivre aujourd'hui comme un miracle, une bonté pure, un imprononçable. Ne rien céder jamais à la pacotille contemporaine. Rester dans la rage auprès des frères enragés. Ébloui. Debout. Vivant. Les bras ouverts sous le soleil. Disparaître, vivre caché. Vivre au plus haut. Dans la chance et la démesure. Brûler à la croix du soleil. p 24
Il y a une injustice de ce monde : ce qui est bon et beau est piétiné, négligé, anéanti. Ils ont mis en avant la pacotille, le dérisoire, le tonitruant. Pourquoi s'en étonner ? L'injustice est la marque rouge de ce monde. Notre honte. L'injustice est ce souffle du néant. Qui sort du néant et nous y reconduit. Tous ensemble. La vieille horde qui va virer à la meute. p 25
Pourtant, souvenez-vous de ce miracle des lectures, d'une phrase trouvée dans la marée des veilles, égarée parmi tant d'autres mots, trouvée puis jetée à l'abandon, oubliée, oubliée comme ces milliers de livres lus désormais en sommeil et dont vous ne percevez même plus le murmure. Ils sont de grands oiseaux dans la bibliothèque et leurs ailes paraissent collées une à une. S'envoleront-ils encore, sauront-ils chanter au fond du cœur, cingler les nerfs jusqu'à l'intenable ? Ou seront-ils momies jusqu'à la fin des temps ?
Elle marche, invisible sur les routes et c'est elle que nous poursuivons partout sur cette terre. Elle se nomme l'absence et se pose à notre chevet dès la naissance à la façon d'un oiseau sur un fil et, sans fin, nous murmure son chant. Elle se vêt du visage des morts, elle apparaît entre les mains des nouveaux-nés, elle gémit dans les chambres d'hôpitaux, elle va ainsi les marées. Elle est notre ombre et notre soleil. Une sorte de flux, de reflux. On la sent tellement présente dans d'immenses salles vides, dans les églises désertes, entre les murs des monastères à l'abandon. Mais, n'allez pas croire, elle n'est pas dieu, elle n'est d'aucune religion. Elle est dans l'amour, dans la fraternité impossible, dans la fuite même du serpent. Elle est tout aussi bien dans ce qui sépare que dans ce qui assemble. Elle est le legs que nous ferons à tous ceux qui viendront après nous fouler la poussière de cette vie. Elle est dans le regard du mourant, dans ce regard dont s'échappe deux petites mains tâtonnant dans l'azur. p 61-62
Souvent, l'on imagine que pour écrire, il nous faudrait une vie extraordinaire, des voyages, des rencontres peu banales, des fêtes, des choses un tant soit peu insensées. Mais ces vœux-là, souvent, vous les avez éprouvés, vous avez brûlé en leur cœur et il n'en est rien resté, surtout pas des mots, surtout pas des livres. Et lorsque ces fêtes-là ont été absentes de votre vie, lorsqu'il n'y a eu sur votre vie qu'une large étoffe de silence, de pauvreté, eh bien, les mots sont venus comme pour vous prêter main-forte, vous secourir, le silence s'est ouvert comme un ciel, le silence a remué en vous d'anciennes pages, de très vieux souvenirs ou bien des rêves encore inaccomplis.
Un bouquet à la main : la joie.
Les mains de l'espérance, tu les appelles les mains ensoleillées.
La liberté, cette sage ignorante, est plus libre que la lumière. Elle joue, se promène dans la maison, allume les lampes et ne s'éteint jamais. La liberté est plus franche qu'un rire. Elle a brisé les frontières, les horizons. La liberté reste parfois à notre porte. Elle est alors un peu de mousse sur les murs, du vent, un vent fou entre nos mains.
pp. 28-29 & 16
Hommage à ces faibles instants
que la rumeur du monde n'a pas retenus.
Hommage à l'herbe foulée,
aux arbres solitaires sur la crête des prés,
hommage à cette brève durée qui ne reviendra plus.
(" Vers la steppe")
Dans l’automne, une feuille tombe d’un arbre, rejoignant la terre anonyme d’un sentier. Baignée de lumière, cette feuille n’appartient à personne. Bientôt, des animaux froisseront son âge et des pluies torrentielles l’emporteront très loin. Notre vie ressemble à cette feuille. Nul ne l’approche, nul ne lui demande jamais rien. Elle pousse quelque part, elle grandit puis elle meurt, nourrie du chant mystérieux des saisons.
On devrait écrire un livre sur le silence des oiseaux, sur le silence de la nature. Le silence pèse si peu sur notre cœur. Il vient comme un baume, un apaisement. Il embellit la gravité de chaque heure, de chaque seconde, de chaque visage. Il donne la main au solitaire, il donne des mots d'amour aux amants, il offre des forces à qui a tout perdu et, en échange, il n'exige jamais rien, jamais.
Voir Est Vivre
... Il est loin le temps où le lait onctueux, dans ces aubes d'un autre siècle, venait lui aussi chanter au fond d'une bassine. Il est loin le temps où lenteur et attention étaient le credo. Chevaux et charrettes savaient maîtriser la vitesse, et le regard, toujours, puisait ses nourritures le long des routes et des chemins qui enflammaient le coeur. Les sommets étaient des espérances, les vallées de vraies perspectives. Une touffe d'herbe, un arbre somptueux vous enchantaient le sang pour des siècles et ne parlons pas des étroites rivières, si paisibles, qui sommeillaient entre les berges, un chant montait de leur courbe, de leur écoulement si tranquille en dépit des eaux noires qui tourmentaient leur lit. Les suivre était une promesse, un serment, l'aventure des cabanes que nous construirions sous les arbres dont quelques branches frôlaient parfois ces eaux grises où nous cherchions, par des reflets, traces de nos visages, témoignaient pour l'avenir. Nous étions là, à l'affût, de l'inconnu banal et chaque évènement qui surgissait dans nos vies étroites bousculait à jamais le rythme même de notre coeur, faisant ainsi que nous rentrions souvent avec de la joie à la maison. Aujourd'hui, levant les yeux vers ces feuillages anciens, une émotion me saisit qui me fait aimer encore ces berges et ces sous-bois où je me rends parfois, comme si tout cela était un monastère, un ermitage édifié pour moi par le seul génie de la nature.
Je veux ici, dans ces pages incertaines, célébrer la vie, cette sorte de mise en route matinale car, lorsque je serai mort, comme l'automne défunt d'aujourd'hui où feuilles et humus se mêlent à la terre argileuse des contreforts, je ne pourrai plus chanter et me laisser aimanter par cette gloire invisible des étroits chemins, des versants déserts, des surplombs d'où l'on voit si loin, jusqu'au pays de l'étranger qui bruit dans une autre langue que la nôtre. Très jeune, et j'en ignore les raisons profondes, j'ai eu le sentiment aigu de l'évanouissement des êtres et des choses et seule la langue, qu'il m'a fallu conquérir, pouvait en porter témoignage, comme la berge peut témoigner du fleuve, comme le rire peut alerter de la joie qu'il y a dans le coeur des amants, la main retranscrire enfin cette ferveur du silence et d'un bonheur simple, à hauteur d'une journée ordinaire.
Extraits, dans le recueil 'L'Enfance Est Mon Pays Natal' - pp. 250-1
De très loin, quelqu'un lui écrit. C'est une femme. Il ne sait presque rien d'elle.
(...) le soir, la journée achevée, elle brûle ses yeux, ses dernières forces dans la lecture, dans la lecture des petits livres que le monde recouvre de silence. Elle vient chercher de l'or, de l'eau fraîche dans les pages des poètes, elle vient prendre à bras le corps cette richesse minuscule, inexplicable que l'on retrouve dans les pages piétinées, ensevelies, dans les livres qui ont couru sur les routes, elle vient offrir à ces livres-là toute la joie qui leur manque. Ainsi est le travail des lecteurs, des vrais lecteurs : ils délivrent la puissance secrète des pages. On voudrait les remercier, ces frères que nous ne verrons jamais. Mais les mots nous manquent et puis nos letres seraient si maladroites. p 15-16