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« La cour arrière de la maison donne sur le chenal. Le ruisseau vient d’un bras de la rivière qui rejoint le fleuve en formant le terrain qu’on a surnommé l’île Montesson. Une faible pente descend de la galerie jusqu’au rivage rocailleux par un sentier obstrué de broussailles et de racines. Tout au fond parmi les branches coule une eau brune dont le lit pierreux est recouvert de plantes aquatiques et infesté d’insectes aux noms de jeunes filles. Les amphibiens gluants, couleuvres et salamandres au contact glacial abondent. Les mammifères fuyant le bruit de l(autoroute s’y réfugient, survivants d’un univers qui n’est déjà plus le leur, plongeant leurs museaux tremblants dans l’eau sous le couvert de l’ombre des herbes hautes et des fougères.
Les fenêtres donnent à l’est. Les rayons du soleil s’engouffrent entre les troncs d’arbres aussitôt les premières heures passées. Le calme est absolu. Seule la ligne éphémère d’un bruant dans le ciel vient en déranger l’immobilité. »
Il y avait des gens partout, sur le trottoir, sur la chaussée et sous les porches des clubs et des cinémas. La musique surgissait des fenêtres ouvertes. Les néons des devantures jetaient leur éclairage coloré sur les filles qui se déhanchaient par groupes de quatre ou cinq. De temps en temps, une voiture décapotable passait en klaxonnant, se faisant joyeusement conspuer au passage, car Beale Street, le samedi soir, appartenait aux piétons. […] Au coin de la 4e Rue, un bluesman tout en os jouait de vieilles ballades pour quelques pièces. On refusait du monde dans les restaurants et les bordels. Le vaudeville de Daisy affichait complet. Beale Street palpitait au son des Big Bands et des cris de joie. On dansait sur le toit des voitures. C’était magnifique.
Un hurlement éclate dans la noirceur de l'abîme où elle s'engouffre. Sa folie la tient sous sa nageoire, près de son cœur palpitant et moite. Le cri de la femme se répercute en un douloureux écho qui lui rappelle la disparition des êtres chers qui quittent votre vie comme des fantômes