Dans le cadre de la rentrée littéraire de printemps, Occitanie Livre & Lecture reçoit des auteurs et autrices pour présenter leur récente parution. Cette fois-ci, c'est Simon Baril qui nous parle de sa traduction du roman "La mort sur ses épaules" de Jordan Farmer, aux éditions Rivages.
Modération Janine Teisson.
Merci à la librairie Sauramps pour son accueil.
Il aurait aimé se libérer de ses secrets, mais il savait que s'en ouvrir à des divinités imaginaires ou à d'autres hommes tout aussi brisés que lui ne suffirait jamais à le soulager. D'où venait ce besoin humain universel de communion, au fait ? Espérer trouver du réconfort auprès des autres, c'était entretenir l'illusion qu'ils pouvaient vous comprendre. Les gens n'avaient pas le courage d'admettre que nous étions coincés chacun dans notre carapace, et que les mots ne nous permettaient pas d'exprimer l'indicible.
Il lui semblait que leur histoire ne reposait que sur le désir sexuel et la familiarité. Peut-être n'étaient-ils ensemble que pour éviter d'être seuls. Et à ces moments-là, soit Terry avait envie de partir, soit il en concluait qu'il s'agissait de la nature véritable de l'amour. Que rien n'était plus vrai que deux êtres brisés s'appuyant l'un sur l'autre pour résister à l'agression constante de ce monde.
Tout s'abîmait, même les montagnes si on leur laissait suffisamment de temps ou si les hommes s'en mêlaient avec leur dynamite. Bientôt, il n'en resterait plus que des graviers, plus rien n'empêcherait le soleil de brûler le fond des vallées. Il ne resterait plus que des mines abandonnées pleines de déchets toxiques, des puits à l'eau empoisonnée, des squelettes d'animaux englués dans des cloaques chimiques. ( p 236 )
Peut-être que l'amour, c'était simplement la gratitude qu'on éprouve envers ce qui vous sauve.
Terry savait ce que ça signifiait d'être différent dans une bourgade paumée comme celle-ci. Ce n'est jamais facile, mais à la campagne on en bave dix fois plus. ( p 22 )
Jamais personne n’avait proposé de lui rendre service sans attendre quelque chose en retour. C’était comme ça, pas de quoi s’offenser. Malgré tout ce qu’on vous racontait à la messe, l’instinct primordial de l’être humain consistait à exploiter son prochain.
Certains soirs, c’était presque comme si quelqu’un d’autre lui faisait la lecture. Les mots le transportaient hors de lui-même, puis le ramenaient sans qu’il puisse dire combien de temps s’était écoulé. Des secondes, peut-être, ou des heures, comme si on lui avait administré des sédatifs.
Terry savait ce que ça signifiait d'être différent dans une bourgade paumée comme celle-ci. Ce n'est jamais facile, mais à la campagne on en bave dix fois plus. Tout écart de la norme vous vaut d'être stigmatisé. Terry n'ignorait pas que les gens parlaient de lui, se faisant part de leurs soupçons en petits groupes, derrière son dos, mais il pouvait toujours se cacher. Dissimuler son homosexualité n'allait pas sans souffrance, mais au moins c'était possible, voire préférable dans un coin où l'on risquait sa vie rien qu'en étant soi-même. Mais ce petit homme... le pauvre. Devoir afficher sa différence en plein jour, ça c'est effrayant.
N'empêche la culpabilité était préférable à la peur. Terry pouvait fermer les yeux, chasser la culpabilité de son esprit et se réconforter grâce à une pilule d'une couleur ou d'une autre.
Dans le coin, il n'aurait pas pu dégoter un boulot mieux payé, alors pas question de faire le difficile. Les gosses qui grandissaient à Lynch savaient depuis un bon moment ce que les autres jeunes Américains commençaient tout juste à comprendre : pour survivre, cette génération allait devoir trimer trois fois plus dur que leurs parents.