Que peut apporter à la théologie l'écoute des paroles des plus pauvres ? À partir d'échanges de chrétiens du quart-monde réunis par la Fraternité de la Pierre d'Angle pour partager leur foi, Frédéric-Marie le Méhauté cherche à entendre la « mystérieuse sagesse », ainsi que la nomme Evangelii Gaudium, dont témoignent ceux qui luttent contre la misère. La prise au sérieux de ce sens de la foi des plus pauvres invite à revisiter des questions cruciales pour l'intelligence de la foi aujourd'hui.
L'aventure théologique qui se risque ici à l'écoute de ces paroles fragiles ouvre une voie encore peu exploitée pour enrichir la compréhension de l'option préférentielle pour les pauvres. Il s'agit de tracer un chemin nouveau pour concilier justice et charité, pour entendre aujourd'hui dans son actualité libératrice la révélation que Dieu nous offre en Jésus, révélation cachée aux sages et aux savants mais offerte aux tout-petits pour le salut de tous.
Frère mineur de la province de France-Belgique, Frédéric-Marie le Méhauté enseigne la théologie au Centre Sèvres et est engagé auprès de personnes en précarité, dans la tradition initiée par Joseph Wresinski.
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Faire fructifier en nous ce que nous avons reçu au sein de nos familles, au cours de nos rencontres, et le partager à fonds perdus avec celui qui n'a rien reçu, c'est une manière de perdre en gagnant car on récolte un surcroît d'amour. (p.51)
En ce qui me concerne, ma rencontre avec le Père Joseph a été décisive. Il m'a aidé à mieux comprendre que, fondamentalement, les droits de l'homme sont le droit "d'être" un homme et surtout que ce n'est pas pour le respect des droits qu'il faut se battre mais pour le respect des personnes privées de ces droits ; car chaque droit doit avoir pour nous un visage. (p.10) - Pierre-Henri Imbert dans la Préface)
Le pire des malheurs est de vous savoir compté pour nul, au point où même vos souffrances sont ignorées. Le pire est le mépris de vos concitoyens. Car c'est le mépris qui vous tient à l'écart de tout droit, qui fait que le monde dédaigne ce que vous vivez et qui vous empêche d'être reconnu digne et capable de responsabilité. (p.23)
...ces droits qui se rapportent à la dignité humaine dans ce qu'elle a de plus élémentaire et immédiat : avoir un toit, manger à sa faim, se laver, se soigner, en somme participer aux formes les plus simples de la vie sociale." ; " c'est bien la nature indivisible des droits de l'homme qui se trouve ici en question. Le droit à une vie décente, le droit au logement, le droit aux soins de santé, le droit au travail, le droit à l'éducation, le droit à la participation sociale et politique doivent être considérés comme des droits fondamentaux de l'homme" (p.9 de la Préface)
Reconnaître un droit à la garantie des besoins humains matériels élémentaires (nourriture, vêtement, hébergement). Cette garantie constitue en effet la condition d'existence de tout être humain et aussi de son épanouissement.
Reconnaître, en tenant compte de l'indivisibilité et de l'interdépendance des droits de l'homme, un droit à la garantie des besoins humains matériels élémentaires comme étant une condition préalable à l'exercice des autres droits et libertés. (p.7, Préface de Pierre-Henri Imbert)
Là encore, je retrouvais des familles traitées en objets de mesures, d'aide et de contrôle, plutôt qu'en sujets de droit. Des familles n'ayant pour seule identité qu'une appellation négative : « asociales », « inadaptées » « lourdes » « familles à problèmes » la seule étiquette à peu près neutre de « sans-abri » leur étant peu à peu subtilisée. (p.18)
Sans domicile reconnu, sans travail, sans carte d'électeur, mais aussi sans possibilité de faire inscrire les enfants à l'école, la famille était poursuivie pour squattage. (…) Curieusement, la famille avait un dossier auprès des instances judiciaires, alors qu'elle n'existait pas pour les instances scolaires ou de relogement. (p.20)
Car la précarité de l'habitat engendre l'insécurité des relations, de l'amitié entre voisins, de l'amour entre époux, entre parents et enfants. Naissent alors le désordre et la violence. Ainsi, les familles, par leur misère, deviennent peu à peu des indésirables, sources de répugnance et de peur pour leur environnement. (p.21)
Les pensées rassemblées ici ne sont donc pas les pensées d'un philosophe, d'un théologien, d'un bibliste, d'un expert des droits de l'homme. Elles sont celles d'un homme, né dans la pauvreté et qui n'a jamais cessé de la fréquenter, de la méditer, de la porter en son cœur tout au long de sa vie, jusqu'à son terme, le 14 février 1988. (p.7 de la présentation de Jean Tonglet)
Les plus pauvres nous le disent souvent : ce n'est pas d'avoir faim, de ne pas savoir lire, ce n'est même pas d'être sans travail qui est le pire malheur de l'homme. Le pire des malheurs est de vous savoir comptés pour nuls, au point ou même vos souffrances sont ignorées. Le pire est le mépris de vos concitoyens. (p.49)