Julie Certines

Sous ses airs de femme douce et compréhensive, elle est capable d'être une fine calculatrice. Cela ne s'est jamais fait aussi clairement ressentir que depuis que nous sommes séparés. Avant, elle agissait aussi sur des coups de sang, généralement sans négociation possible, mais c'était toujours pour notre intérêt commun donc je n'y voyais pas trop à redire. Maintenant ce n'est plus pareil. La projection de son intérêt ne se fait plus dans le même camp que le mien. Elle agit dorénavant contre moi. Je m'attends à chaque rencontre, à chaque coup de fil, à subir le couperet de sa rigidité glaciale. Je ne suis même pas certain d'avoir envie de me battre. J'ai l'impression de jouer avec la vie de mes enfants, trimballés entre des parents qui se déchirent. On ignore leur avis sous prétexte qu'ils sont trop jeunes pour en avoir un. On leur impose la meilleure décision pour ne pas leur faire porter la culpabilité de la prendre. Il n'y a pas de bonne solution, j'en suis certain. Il n'y a pas de possibilité de s'assurer de leur bonheur. Je dois juste avancer avec eux, espérer qu'ils ne souffriront pas trop de nos calculs d'adultes et de nos enjeux d'égo.

C’est vrai que la présence d’un père m’était abstraite. Je ne savais pas vraiment ce que cela voulait dire. A défaut d’en avoir un exemple, j’en avais au mieux acquis l’idée. Pour moi mon père, c’était ma mère. 
L’amour qu’elle me portait, dont la sincérité ne faisait aucun doute, compensait autant son besoin de revivre l’expérience sensible d’un état révolu : celui d’être une femme aimée, que sa volonté de faire de moi un honnête homme. Pour cette raison, je ne culpabilisais pas de ne pas être à la hauteur de ses attentes car elle m’avait très vite appris le droit à l’erreur et l’absolue nécessité de rechercher le bonheur. Je ne culpabilisais pas de dépendre d’elle car elle subvenait à mes besoins avec fierté tout en m’apprenant l’importance de gagner son indépendance future.

L’amour qu’elle me portait, dont la sincérité ne faisait aucun doute, compensait autant son besoin de revivre l’expérience sensible d’un état révolu : celui d’être une femme aimée, que sa volonté de faire de moi un honnête homme. Pour cette raison, je ne culpabilisais pas de ne pas être à la hauteur de ses attentes car elle m’avait très vite appris le droit à l’erreur et l’absolue nécessité de rechercher le bonheur. Je ne culpabilisais pas de dépendre d’elle car elle subvenait à mes besoins avec fierté tout en m’apprenant l’importance de gagner son indépendance future.

Ce sourire, ce n’est pas n’importe lequel. Ni forcé, ni crispé, il inonde tout son visage d’une toute autre manière et me laisse entrevoir un sentiment resté jusque-là inconnu. C’est un sourire sincère et bienveillant. Mais c'est surtout, un sourire de bilan. Celui que l’on fait à quelqu’un qui a été important, qui le restera mais qui est définitivement sorti du périmètre de sa vie. Elle est en train de me regarder comme une chose du passé, d’une époque révolue. Ce sourire est empli d’une tendresse amicale teintée de quelques regrets peut-être, l’ultime signe qu’elle ne reviendra plus.

On s'était juré amitié, pensant comme des gosses que le quotidien suivrait. Mais la vie s'occupe généralement très bien de balayer nos belles promesses d'enfant.

Quand je ramène les enfants chez leur mère, c’est toujours un peu la même chose, les mêmes discussions, les mêmes silences gênés. Au moins, les enfants assurent l’animation festive dans ces moments-là. On les salue alors pour ce qu’on leur reproche habituellement. Pour ce qui est des adultes, chacun prend bien soin de ne surtout pas évoquer ce qui devrait pourtant l’être, moi le premier. Tant que les choses ne sont pas dites, la réalité n’existe pas. Celle que je vois dans ces rendez-vous qui n’en sont plus, c’est toujours ma femme, c’est toujours mon monde.