J’ai acheté ce livre pour de mauvaises raisons. Comme je l’ai indiqué, faire le résumé de cette histoire est par nature trompeur : ce qui compte dans ce livre, ce n’est en réalité pas son synopsis, ce ne sont pas les étapes du récit… même cela, je ne sais comment l’exprimer. Je vais tenter une image qui vaut ce qu’elle vaut : la trame de ce récit est fait de plus de fils que ceux strictement narratifs. Il y a également différents fils strictement émotionnels, sensitifs. Il y a la lumière de ces pays et zones géographiques – Syrie, Turquie, Rojava. Il y a ces liens sensoriels entre Asim et les morts qu’il « porte » en lui. Ce n’est pas un conte… mais c’est peut-être ce qui se rapproche le plus d’un conte.
Alors moi qui avait acheté ce livre pour cette histoire d’une archéologue devenue trafiquante, j’ai rapidement compris qu’il y avait méprise.
Mais – et c’est peut-être là où ce livre est très fort -, je n’ai pas ressenti non plus de mise à l’écart. Certains passages m’ont paru « ésotériques », mais Asim s’est imposé dans sa candeur, sa force infinie, même brisée par le destin. Il a renoncé, parce qu’en réalité il est déjà mort, son esprit est mort, mais tant que son corps est en vie, il poursuivra sa mission. L’image que donne Julie Ruocco, celle d’une pierre que lui remet sa sœur en rêve, mais qui pèse le poids de toutes les âmes des morts dont il a ainsi reçu la charge, et qui s’allège au fur et à mesure qu’il offre une nouvelle vie à ces âmes en confiant leur identité à des réfugiés… c’est inexprimable, mais quelle puissance !
L’auteure établit un continuum entre Bérénice et Asim, qui, tous les deux, creusent le sol pour en retirer des os, avec une aspiration commune : celle de retrouver la trace de leur histoire familiale. Un père mystérieux d’un côté, et, sans doute, une cassure qui n’est qu’évoquée ; une sœur, aussi fragile que puissante, de l’autre. Ces deux êtres que pratiquement tout oppose vont se reconnaître, autour de la figure de Taym.
Un autre thème récurrent dans le récit est celui du hasard ou, plutôt, celui des coïncidences. Il s’agit d’ailleurs – et, en refermant ce livre, je me dis qu’il ne peut pas s’agir d’une coïncidence, justement – du titre du premier chapitre, qui s’ouvre avec Aragon :
« On vit dans un monde de coïncidences. Un homme et une balle qui se rencontrent, c’est une coïncidence ».
Coïncidence, le surgissement de Nazar à l’enterrement du père de Bérénice ? Coïncidence, l’attentat qui tue le contact de celle-ci en Turquie ? Coïncidence, la rencontre avec la fillette ? Coïncidence, le téléscopage avec Asim ? Coïncidence, encore, à la fin du livre, l’ancien avocat syrien, réfugié en Allemagne, qui se retrouve face à un de ses bourreaux lorsqu’il était emprisonné par le régime ? Coïncidence, peut-être, que j’ai pris ce livre pour de mauvaises raisons…
Je ne sais pas si je réussis à faire passer cette idée, mais ce livre est à la fois fluide et visqueux, dur et doux, touchant et glacé, lumineux et sombre. Et… et ce n’est pas si courant… il me laisse sans mots. Je ne sais pas si cela invite à le lire ou à le repousser doucement vers les ombres qu’il décrit, mais j’aurais tendance à dire qu’il constitue une lecture importante. Et, même si cela a, au départ, été pour de mauvaises raisons, je ressens une forme de joie à l’avoir lu.
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