On ne se lavait pas en hiver – impossible ! – c’est l’une des raisons pour lesquelles mon père a construit le sauna. Je sais que cela peut paraître dégoûtant, mais à quoi bon laver nos corps quand on n’avait rien à se mettre de propre ? Et on n’était que tous les trois. Si on sentait mauvais, on ne le remarquait pas, puisqu’on puait tous pareil.
Extrait de La fille du roi de la vase de Andersen
La goutte de pluie, dit-on, creuse la pierre la plus dure. Les vagues de la mer, en les caressant, arrondissent les pointes et les aspérités du granit. De même, l'onde de la miséricorde recouvrit Helga, telle une rosée du matin, adoucissant ce qui était dur en elle, la sauvagerie de son être.
Ces effets n'apparurent pas tout de suite; elle n'avait pas conscience de sa métamorphose, pas plus que la graine dans le giron de la terre ne sait, quand viennent la fraîche averse et les chauds rayons du soleil, qu'il y a au-dedans d'elle une force qui la fera éclore et fleurir. p 273
Je pense aussi qu'il le considérait comme une menace. Il m'avait laissée garder Rambo au départ pour me montrer sa générosité, mais quand je me suis mise à aimer ce chien, d'un amour aussi vrai que celui que je portais à mon père, il est devenu jaloux. Il pensait que l'amour était un tout qu'on divisait. Mais ce n'est pas vrai. On le multiplie. Mon affection pour ce chien ne diminuait en rien celle que j'avais pour mon père. Il est possible d'aimer plus qu'un seul être.
"Quand le dernier arbre sera mort, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson pêché, l'homme blanc enfin s'apercevra qu'il ne peut pas manger son argent". C'était l'un des dictons favoris de mon père. "Nous n'héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants". C'en était un autre. Je croyais qu'il en était l'auteur. Aujourd'hui, je sais que ce sont des maximes indiennes très célèbres. Ce qui est sûr, c'est que les Premières Nations comprenaient le concept de développement durable bien avant qu'on ne lui donne un nom.
Je me redresse et consulte ma montre. J'ai encore des soucis avec la ponctualité. Quand on a été élevé comme moi dans la nature, c'est elle qui vous dit quoi faire et quand. A quoi servirait une montre ?
Certes, il était important de toujours dire la vérité, mais quand il s'agissait de raconter une histoire, on pouvait enjoliver les faits. L'intérêt de l'auditoire prévalait.
Je pensais à toutes ces choses alors que j'étais accroupie dans le noir. Je ne pouvais pas m'asseoir parce que mon père avait rempli le fond du puits avec des bois de cerfs, des débris de côtes, des morceaux de verre et de la vaisselle cassée. Quand j'étais petite, je parvenais à me pelotonner sur le côté et à m'étendre. Parfois, je m'endormais. C'est pour cette raison que mon père s'est mis à joncher le sol de débris coupants. Le temps de la réflexion n'était pas censé être confortable.
Un parent est censé ne pas avoir de préféré parmi ses enfants, mais c'est plus facile à dire qu'à faire.
Il y a beaucoup de maisons abandonnées dans la péninsule. Les gens ont soudain l'envie de couper les ponts avec la civilisation, alors ils achètent un lopin de terre perdu dans les bois et construisent une cabane. Ça marche pendant un temps. Ils apprécient ce refuge, ce retour aux sources, jusqu'à ce que la vie et ses contingences les rappellent à la réalité : les enfants, le travail, les parents qui vieillissent. Un an passe sans qu'ils n'y reviennent, puis un autre, et ils ne tardent pas à s'apercevoir qu'ils payent des impôts pour une propriété où ils ne mettront plus jamais les pieds. Et d'un coup, le retour à la nature perd de son charme.
[...] j'ai remarqué que, lors de jeux, beaucoup de parents laissaient leurs enfants gagner pour ne pas malmener leur ego. Mon père ne m'a jamais facilité la tâche, et je n'aurais pas voulu qu'il le fasse. Comment apprendre sinon ?