Les critiques sont parfois perplexes, probablement déroutés non pas par le vide lui-même, mais par cette possibilité de le voir.
Je peins l'éclat du soleil sur le mur d'une pièce, une clarté franche qui accuse les contrastes, ce que j'ai toujours admiré chez Rembrandt ou Vermeer. Cette lumière qui enveloppe les objets mais semble émaner des personnages. Cette ambiguïté qui rend les choses bouleversantes.
Ce silence que tout le monde voit dans mes tableaux est dû en grande partie à l'absence d'objets ou d'actions qui suggèrent des sons, comme le cliquetis des couverts, des verres, le brouhaha des conversations, des rires dans une guinguette de Renoir, les cris de la foule des tableaux de Dufy ou le raclement des Raboteurs de parquet de Caillebotte, que j'admire particulièrement.
La lumière irradie, transfigure les tableaux. Chez les impressionnistes, elle sature l'espace pictural. Elle vibre. Elle est pour moi une force expressive essentielle, presque tyrannique.
Je m'amuse à faire une affiche humoristique que j'intitule Hopper, maison fondée en 1882, c'est l'année de ma naissance. J'écris: "Maison E.Hopper. Objets d'art et d'usage courant. Huiles, gravures, eaux-fortes, cours de peinture, de dessin et de littérature, réparation de lampes électriques et de fenêtres, déménagement et transport de malles, guides pour la campagne, menuiserie, blanchisserie, coiffure, lutte contre les incendies, transport d'arbres et de fleurs, salle de banquets et de noces, conférences, encyclopédie d'art et de science, mécanique, guérison rapide des maladies de l'esprit telles que l'inconstance, la frivolité et l'amour propre."
Edward Hopper a plus de liens avec le cinéma et la photographie qu'avec la peinture de ses contemporains.
L'art médiocre se borne à dire quelque chose, par exemple "voici la nuit". Le grand art donne la sensation de la nuit.
Entre partout et ne t'enferme nulle part.
Henri-Frédéric Amiel