« Quelquefois, je prenais une lame de rasoir et la faisais courir le long de ton cou, elle m’a dit. Juste sur la peau, pour dessiner une fine ligne rouge, et tu te tortillais et te débattais comme un ténia jusqu’à ce que je te tienne serré dans ta couverture et que tu ne puisses presque plus respirer. Naturellement, ta tête de lard de père venait toujours te dégager. Il me disait que j’étais complètement folle. Moi ! Hum ! Tu n’as aucune idée de la vie que m’a fait mener ce porc. »
Et elle continuait, encore et encore, me clouant sur place avec ses rencunyeux, pour s’assurer que je savais, une fois de plus, toutes les horreurs dont j’étais responsable. Parfois, quand il est extratôt, ténèbres encore dans le mondextérieur, et tous les cochons en plein sommeil, les mots de mam me fouettent comme des lanières souples barbelées et je projette de mettre cette grosse tête dans des sacpoubelles et serrer très fort pour que toute chose finisse. Et par fois au plus profond du temps sombre quand elle est très whiskyméchante, je pense à la fouailler et à mettre du silence dans l’amertume. Seulement par fois.
Mam dit que papa était porchair et porc-esprit, un énorme goret fangeux qui l’a chopée de force et puis s’est carapatrotté au-delà des lointerres quand il a compris ce qui s’était produit. Elle maudissait l’épaisse rayure d’ébène qui poussait, dit-elle, sur toute la longueur de son dos osseux et de son poil nacré, stratifié, sous la peau rêche qu’elle nommait brutesignes. Mais moi j’ai souvenir d’une veste chatouilleuse près de mon visage porcin, de mains énergiques pasmoites aux poils blondasses grimpant sur les poignets, et de rires sonores qu’allaient très haut et bien bas comme de la musique. La seule chose porcine de papa était le ronflement mouillé qu’il émettait endormi de côté sur le canapé. J’ai souvenir de lui jusque passé le jour de mon anniversaire, le douzième, après cela il n’est plus. Mam dit que ma tête est grosse comme celle d’un cochon du fait que papa était goret. Elle dit que mon cerveau n’est que bouillie, de la pâtée pour les cochons.
Je mets mon chapeau spécial pour essayer de cacher la têteporc. Papa l’a découpé dans un vieux manteau en cuir. Il couvre mes oreilles pendantes et plonge bas jusqu’au menton. J’ai l’inquiétude d’avoir l’air d’un bourreau des temps anciens, comme dans les illustrations que j’ai vues. Mais mieux vaut couvrir la grosse caboche de sanglier que l’afficher.
Dans une main j’ai la note de mam et son porte-monnaie, dans l’autre le cabas en toile pour le whisky. Je suis certain que des mains pleines paraissent moins inquiétantes aux gens extérieurs. Je ne regarde jamais les gens directement dans les yeux, cela je l’ai appris de mes cochons. Le contact oculaire à dessein est comme un défi lorsqu’il vient d’une bête délaissée comme moi, et je n’ai aucun désir de provoquer le conflit. Ma propre ombre qui palpite sur le sol suffit à déclencher la peur chez la plupart.
Une fois au lit j’ai essayé de me rappeler dans le moindre petit détail le moment où je chevauchais freya. La sensation chaude, grattouillante de son dos entre mes jambes ; le doux balancement lorsqu’elle oscillait de droite à gauche en avançant. C’était comme si j’étais en transe. Jack m’a montré comment la diriger avec les genoux et comment murmurer des mots d’encouragement dans ces grandes oreilles pendantes qui ne demeuraient jamais immobiles un seul instant. Et quand Freya s’est mise à courir, j’ai pensé presque comprendre ce que c’était que de voler. Je rêve souvent de m’envoler et je cours toujours vers le bord d’une falaise, d’où je décolle avant de plonger vers des personnes minuscules sur une plage de sable. Être sur le dos de Freya me procurait la même sensation de vent violent, comme une descente sur les meilleures montagnes russes.