A Goma elles découvrirent la réalité d'un camp de réfugiés. D'abord, l'odeur de la mort : mélange âcre de viandes avariées, d'urine et de déjections, odeur que le soir on ramène chez soi. On se lave, on change de linge, mais l'odeur reste tapie au fond des narines, indélogeable à moins de s'amputer du nez. Et lorsqu'on n'a pas de chez-soi, pas de linges de rechange, ni aucun lieu intime où faire sa toilette, on devient soi-même un cadavre vivant qui pue.
Ils avaient tué son mari, ses quatre fils, puis l'ont emmenée vers un gymnase où étaient parquées des centaines d'autres femmes, offertes en pâture à une bande de sauvages. "Des batteries de poules conduites à l'abattoir", avait dit Uwase. Sauf qu'ici, au Rwanda, il s'agissait d'un type nouveau de boucherie : le viol collectif pratiqué à la chaîne, chronomètre en main !
Nous avons nos démons, ils sont tapis en nous, silencieux et muets au point que nous les oublions.Quand la peur nous paralyse, ils en profitent, ils sortent et usurpent notre parole. Ensuite ils retournent se faire oublier au fond de leur antre, nous abandonnant en proie à l'odeur et au goût de l'infamie. p140
Cette femme généreuse, instruite, qui s'était rêvée Tutsie auprès des Tutsies, avide de partager leur souffrance, la grandeur de leur souffrance, n'était qu'une créature ordinaire, insignifiante, prête, le moment venu, à la plus misérable des lâchetés: un reniement sans condition. P134