L.M Foenidis

Un véritable ouragan de muscles et d'acier se fraya un chemin au milieu de la piétaille empêtrée dans une mêlée sauvage. Le destrier qu'aucune couleur ne permettait de rallier à un camp ou à un autre renversait, piétinait sans distinction les fantassins de tous bords. Les coups rebondissaient sur ses protections sans même en bosseler les ornements. Et même si quelques pointes de lances parvinrent à entailler le cuir soyeux, ces blessures n'eurent absolument aucun effet sur ce cheval plus hargneux qu'un chien de combat, bottant et mordant avec sauvagerie tout ce qui passait à sa portée. Quant aux audacieux ou aux malchanceux qui avaient le malheur de se trouver dans le vaste rayon de la lame de son cavalier, leur tête avait vite fait de décoller pour rejoindre la poussière rougie sous les pieds de la multitude déchaînée.

Effaré, effrayé, fasciné, ses yeux fixent les fantasmagories du feu. Le jaune orangé vire au cramoisi sous la force d'une chaleur décuplée. Sa peau le brûle, mais il reste paralysé, soumis par la litanie des incompréhensibles incantations récitées par la vieille survoltée.
Il est racine, il est rocher, il est chose quand petit à petit le rouge de la fournaise semble se distordre, puis prendre forme… Un visage, enfin, hideux et magnifique à la fois, austère et impérieux, au petit sourire enjôleur mais au regard à terrifier un dieu, un visage donc, émerge de la danse des flammes.
À partir de ce moment-là, les souvenirs de Sombre-Mort deviennent très flous. Seuls les termes du pacte sonnent toujours avec clarté :
— Cent nobles vies tu m'offriras, l'élue de ton cœur te rejoindra.

. En quelques enjambées, il fut sur l'épée du seigneur de Tailledur pour l'arracher du sol. Une main sur la poignée, l'autre sous la lame, le garçon caressa un instant du regard le miroir de l'acier. Près de la garde, une fine gravure chantait dans un entrelacs d'arabesques :

« Au cœur et sans peur, l'honneur,
Au fil de ma lame, la loi ! »

— Ta carcasse nourrira nos chiens !
La fureur avait râpé chaque syllabe de sa voix juvénile crachée mâchoires verrouillées.

Courbé sur la dépouille d'une irréelle beauté, reflet diaphane d'un rêve envolé, Blodwal ne peut admettre sa si belle mie décédée. Inconcevable, invraisemblable vérité… Il lutte, il tremble de tout son être pour se retenir de hurler, se garde de bousculer les fossoyeurs, de leur arracher ce corps si ardemment désiré. Puis, épuisé, vidé de toute substance, il demeure seul, tellement navré d'encore respirer quand son amour sous terre est étouffé.