Citations de Laetitia Chazel (28)
Olfactif, rien que le mot lui faisait envie, il y avait si longtemps qu'ils ne s'étaient plus croisés ni rencontrés, eux d'eux. Des mirages, des illusions, peut-être, et alors quoi ? Sentir respirer s'enivrer se délecter des goûts et des parfums comme s'ils étaient réels, pendant ne serait-ce que quelques fugaces et divines secondes. Retrouver ce pouvoir, ce droit de base qu'il avait cru acquis et inaliénable sans se poser la question.
Le sujet numéro un redouté par Janis, dressée sur ses ergots contre toute intrusion dans sa vie privée intime perso. Et pour ce qu'elle en avait, c'était justement cette absence qui était à planquer. Pas de sexe. Interdit de baise, de cul, de jouissance, de préliminaires, d'orgasmes et de point G. Du coup, rien qu'y penser la dégoûtait. À qui balancer ce genre de révélation ? Et pour quoi?
Evidemment, Bart ne pouvait oublier le monstre défiguré qu'il était, ce fantôme qui piétinait sous d'impitoyables semelles les vestiges de feu sa vie, mais aujourd'hui il était considéré, on lui redonnait du corps et du sens. Oui, il avait retrouvé de l'importance, la meilleure chose qui lui soit arrivée depuis longtemps, depuis avant. Il en sentait presque la saveur monter à ce palais qu'il avait perdu.
Comme pour décrire un paysage à un aveugle de naissance, Romano utilisait des comparaisons, en procédant par petites touches. Avec lui, le sucré devenait onctueux comme une voix de chanteuse soul, le salé aussi vif qu'une piqûre d'insecte, le chaud émouvant comme un sein qui se dénude, l'épicé tenait de la rage d'une colère passagère.
En Russie, les trottoirs glacés de Moscou, le feutré velouté du Dernier Nabab. En Chine, le grouillement hypnotisant de Shanghai, la sérénité inspirée du Frances. En Inde, la beauté absolue du Rajastan, le luxe sensuel du Gatsby à Jaipur. En Angleterre, la pluie sale de Londres, la désuète et confortable voluptée du Scottie. Les palaces de All Diamond défilaient.
Avancer, évoluer, franchir, grimper, rester dans l'action, tout le monde connaissait pas coeur le credo de Janis tellement ses actes le transpiraient. (…) L'instinct du chasseur – rien à faire, chasseuse n'entrerait jamais dans son vocabulaire, ah, cette éternelle difficulté à tout mettre au féminin. Et solitaire avec ça, le genre cow-boy justicier qui repart sempiternellement seul au soleil couchant. Quitte à foncer, coudes en avant, pour forcer les mauvaises portes, de celles qui lui reviennent en pleine gueule, épaississant au passage la liste des griefs et inimitiés qui se tissaient autour d'elle.
Des insultes sortant en grumeaux de sa bouche, elle se pencha pour ouvrir la boîte à gants, tâtonna d'une main aveugle et en sortit un révolver. Retrouvailles inattendues avec son vieux copain, le Sig P226 X-Five, carcasse acier finition titane. Ça faisait si longtemps. Contact de la crosse, vérification du chargeur, de quoi se défendre tous azimuts à coups de calibre 9 mm, cartouches garanties d'origine, quinze plus une engagée dans la chambre. Clac.
Qu'est-ce que Janis Pearl Marteen avait de commun avec Janis Lyn Joplin ? Belle lurette qu'elle serait morte si ça avait été le cas. À vingt-sept ans, d'alcool, de came, de fête, de baise. Et puis elle aurait eu du style et du talent, aligné amants et maîtresses, elle aurait été tapageuse, flambeuse flamboyante, vêtue de rose et de colifichets : rock'n'roll. Tout le contraire d'elle, en somme.
Ce petit con doit apprendre qu’on ne trouble pas sa quiétude impunément. Il doit payer. Il va payer.
Tuer son chien, sabrer la tranquillité de ses écuries, la menacer avec une arme, la frapper, vouloir la dévaliser, tout ça réclame réparations avec une majuscule et plusieurs s. Il ne s’en tirera pas comme ça. Elle non plus peut-être, c’est bien ce que Lisa commence à entrevoir…
Une femme seule, évidemment tu as cru que ce serait du gâteau… Un macaron à la poire.
Ce que je te veux ? Je voudrais que tu n’aies pas mis les pieds ici, que tu ne m’aies ni frappée ni essayé de me voler, déjà, et ensuite que tu te tiennes bien sagement à carreau. Parce que tu vois, si quelqu’un te trouve ici, tu passeras un moment, comment dire… inoubliable. Dis-toi que moi, comparée à mes petits camarades, je suis d’un naturel très pacifique.
Mais pourquoi se jeter dans la gueule du loup alors qu’elle se retrouverait aussitôt de victime à accusée. De s’être défendue, et la légitime défense – surtout étirée en longueur, déjà douze heures – n’est pas si facilement accordée ou absoute et elle ne tient pas à avoir des ennuis. Ce serait stupide. Condamnée au silence, et par-dessus tout à réfléchir vite. Double peine.
Maintenant elle va cracher le morceau. Dire qu’elle m’a chopé, que je suis là, enfermé, attaché, que je vaux plus un clou. Ils vont revenir, peut-être pas tout seuls, peut-être toute une armée. Je vais morfler, oh putain je vais morfler.
Il a intérêt à se tirer de là vite fait, convaincu pour la première fois de son existence que c’est une question de vie ou de mort. D’ailleurs, paralysé comme il l’est, peut-être qu’il l’est déjà, mort…
Réduit rétréci miniaturisé à un paquet tout emballé à même le sol qui gratte et l’attaque.
Elle est la victime.
Qui y gagne le droit de décider du sort du coupable.
Légitime défense.
Mais que faire de lui ? Le punir, le garder prisonnier, le faire disparaître, le dénoncer, le livrer à la police ?
Dans un premier temps, en se réveillant de sa double léthargie avec coup de fourche plus anesthésiant, elle compte bien qu’il ait la plus grosse peur ou angoisse de sa vie, ou les deux à la fois, ce qui est un espoir incertain et insuffisant.
Lisa n’est pas près de s’endormir, ni de se mettre au lit. Des bouffées d’excitation lui enflamment la racine des cheveux et des sourcils, des battements de veine parcourent son cou.
Toujours rien, rien, rien, de quoi pulvériser le portable à coups de marteau d’urgence. Et puis l’apparition d’une barrette sur l’écran, puis deux, miracle ! Coup de frein instantané.
Demain sera un autre jour. D’ici là, une nuit à macérer fera office d’ébauche de punition pour l’intrus, qu’elle ne peut pas se permettre de laisser traîner là, en plein milieu de l’écurie, à la vue de n’importe qui. Il ne s’agit pas d’un endroit public, mais mieux vaut tout prévoir.
Elle tire le corps en l’empoignant par les chevilles. Un poids d’âne mort qui l’oblige à demander grâce très vite, déjà en nage, les joues cramoisies par l’effort. Manquerait plus qu’elle fasse un malaise vagal.
Comment lui faire passer le goût des cambriolages et des agressions ? L’enfermer dans un sac et le rouer de coups sans croiser son regard ?
Le hic c’est qu’il saura la retrouver, il sait mieux que personne où elle habite et se souviendra qu’elle l’a frappé et pas raté. Il ne ratera pas non plus. Il pourrait même être capable d’aller porter plainte contre elle. Merde à la fin, c’est bien la peine de vivre en rase garrigue si c’est pour subir les mêmes pressions qu’en pleine civilisation !
L’emmerdant avec l’hiver, c’est son silence.
Ses nuits immobiles. Sans une étoile qui file, un oiseau qui s’égosille, nul insecte culbuté par les brins d’herbe, tout reste muet et suspendu.