Rencontre avec Lambros Couloubaritsis qui nous parle de son livre : "La violence narrative" paru aux éditions Ousia.
Je tiens à donner quelques exemples les plus représentatifs de cette veine, en commençant par un extrait des Chroniques martiennes de Ray Bradbury : « Il y avait ce soir là une odeur de Temps dans l'air (..) Quelle était l'odeur du Temps? Celle de la poussière, des horloges et des gens. (...) Le Temps faisait le bruit de l'eau qui court dans une grotte souterraine.
Et ainsi de suite. Ce long passage s'achève par ces termes :
C'était cela, l'odeur du Temps, l'aspect du Temps, le bruit du Temps. Et ce soir (...) on pouvait presque toucher le Temps. »
L'être humain éprouve le besoin vital de maintenir l'identité qu'il a construite à partir de son enfance et cherche en conséquence, d'habitude dans le partenaire, des schémas émotionnels familiers. L'homéostasie apporte une impression de sécurité affective et de structure. il nous arrive également de reproduire des situations problématiques anciennes dans l'espoir de trouver une solution heureuse.
[...] si les deux partenaires "combinent" leurs carences affectives, la menace de passer à l'acte violent est grande tant entre eux qu'envers les enfants. La loyauté transgénérationnelle intervient au moment du choix amoureux, ou du moins est présente inconsciemment.
La science-fiction oeuvre avec le temps : elle projette son lecteur dans l'avenir, extrapole notre présent, bricole parfois notre passé ; elle voyage dans le temps et les univers parallèles, joue en abondance de tous les paradoxes possibles grâce aux fonctions d'une création imaginaire qui injecte un sang neuf dans les vieux organismes mythiques ou génère de nouvelles formes poétiques bien spécifiques, chez les auteurs les plus talentueux.
... le rôle du médecin est en réalité de répondre à la souffrance du patient. En ce sens, sa mission, qui exprime sa loyauté, est doublée par une vocation : répondre à un appel, en l'occurrence celui de l'être souffrant. Par là, la loyauté, qui est inscrite dans l'accomplissement de sa mission, est associée à une proximité relationnelle plus profonde qui met en jeu un engagement.
Dans les traumatismes chroniques, et certainement quand l'enfant est en bas-âge, il ne différencie guère les mondes extérieur et intérieur et ne peut comprendre les raisons de la maltraitance à son égard. Cette situation incompréhensible génère en lui ce qu'on appelle une "culpabilité primaire" dans le sens où l'enfant se dit qu'"il est mauvais... que c'est ainsi, que c'est comme ça." Ultérieurement, au fil du temps, il supportera difficilement que l'on soit bon et adéquat avec lui, étant donné qu'il a commencé l'existence avec une distorsion entre liens adéquats et toxiques.
Aujourd'hui, par la "libération sexuelle", la moralité sociale s'est inversée : c'est à une sexualité sans limite que nous sommes invités, voire contraints. Et cependant, nous devons constater que cela n'a pas eu comme effet de produire moins de symptômes, moins d'angoisse et de problèmes sexuels. Il semblerait au contraire que nous assistions à un accroissement de l'impuissance masculine et à une multiplication des plaintes pour absence de désir.
La dimension ontique de la loyauté
Notre besoin fondamental d'être en lien avec les autres est une des sources importantes de la loyauté familiale. La vision adoptée est celle des philosophes existentiels qui proposent que le Soi est fondamentalement dépendant de la présence d'un non-Soi pour exister en tant que Soi. Cette dépendance est nommée dépendance "ontique", terme emprunté à Heidegger.
L'enfant pris à parti ne concerne pas seulement celui de la relation objectale ; des auteurs comme Brissiaud et Tilmans-Ostyn ont insisté sur l'enfant "emmuré", enfui dans le parent maltraitant. Ce sujet-là est peu accessible et la souffrance qu'il a captée, souvent de façon sourde, se déverse sur l'enfant réel, présent en face de l'adulte. Lors de la décharge violente, celui-ci n'a pas conscience qu'il maltraite un autre enfant, pensant peut-être renvoyer sa rage au parent qui l'a fait souffrir ; nous constatons là une confusion de générations. Cette confusion se retrouve également quand l'adulte éprouve le besoin d'un enfant idéal, réparateur de blessures de l'enfance, sorte de prothèse narcissique. Dans l'établissement de la relation, celle-ci est pervertie, faussée. Au travers de la distorsion, les patterns transactionnels dysfonctionnels vont se rejouer d'une génération à l'autre, sous des formes diverses.
... dans la suite des défaillances de la fonction paternelle, deux autres troubles [...] se situent pour l'un au niveau de la hiérarchie familiale et pour le second au niveau des frontières familiales. Fréquemment, dans les systèmes maltraitants, les limites hiérarchiques ne sont pas claires ni correctement définies et guère respectées. Le contexte est flou, les rôles et tâches des uns et des sont à peine explicités, notamment ceux des parents censés contenir et guider les enfants. On retrouve alors la parentification, voire la délégation, quand ce n'est pas l'opposition directe et l'escalade conflictuelle, parfois meurtrière. Par ailleurs, des coalitions apparaissent dans les confusions générationnelles, traduites, par exemple, par une proximité grands-parents / enfants disqualifiant la génération parentale. Grandir dans un tel contexte perturbe l'apprentissage relationnel d'un enfant.
Dans les faits, depuis la formation de familles recomposées, nous assistons à un bouleversement profond, du moins dans certains pays européens, où l'infidélité se distingue de plus en plus de la loyauté. La méfiance qui surgit au début, qui crée une atmosphère conflictuelle et multiplie les antagonismes et les souffrances, a peu à peu évolué vers une nouvelle forme de confiance. Le divorce par consentement illustre bien cette situation où l'on crée une structure de loyauté pour préserver la bonne entente et la confiance au profit des enfants, tout en reconnaissant que, face aux souffrances dues à l'absence de véritables proximités relationnelles (comme l'amour par exemple ou le désir de l'autre), la fidélité n'est plus un absolu.