– Et toi, pourquoi tu étais collée ? Tu ne sembles pas être du genre à passer tes mercredis après-midi à la vie scolaire…
Camille détourne les yeux vers le parking du collège.
– Ah bon ? Et ce serait quoi mon genre ?
Je ne trouve pas les mots, alors, bêtement, je hausse les épaules.
– Allez, Tom, tu dois forcément avoir une idée… avec tout le temps que tu passes à m’observer…
Là, je ne suis plus très loin de l’autocombustion. Camille éclate de rire.
– Je te taquine… C’est juste que je suis surprise. Les autres garçons ne font pas qu’observer. Il arrive toujours un moment où ils tentent leur chance. Mais toi, non… La seule explication que j’ai trouvée, c’est que tu es une espèce de tueur en série qui prend bien soin d’examiner ses cibles sous toutes les coutures avant de les trucider…
Je remarque une drôle de créature, présente sur plusieurs pages. Enfin « drôle » n’est pas vraiment le mot. Angoissante, plutôt. Même si la position des bras et des jambes change, elle se tient toujours voûtée. Sa tête a la forme d’un écran de télé. Pas d’yeux, pas de nez. Juste une espèce de gueule grande ouverte, dont on ne sait pas si elle va hurler ou vous avaler. Je montre à Tom l’une des pages avec la créature.
– C’est mon père.
A l’entrée en sixième spécialisée, j’avais passé des évaluations. Apparemment, je m’en étais plutôt bien sorti, puisque mes profs avaient voulu que j’intègre, au moins ponctuellement, une classe de sixième générale. J’ai joué le jeu quelques semaines, et puis j’ai fait semblant que ça devenait trop dur. Je n’ai plus quitté le spécialisé.
Mes parents aussi étaient passés par le spécialisé. Ils n’auraient pas compris.
J’en veux à Enzo. Je lui en veux pour le selfie, forcément, et d’être resté spectateur au gymnase, quand ils ont… Mais je lui en veux aussi de m’avoir larguée. J’ai la rage, et en même temps, je sens bien que je l’aime encore. C’est comme si les deux, la haine et l’amour, dansaient le tango à l’intérieur de moi. Et je n’ai pas la condition pour le tango. Je sais, j’ai l’air costaude. Pourtant, ça me coûte trop.
Vous connaissez l’histoire de Pompéi ? Comment l’avais-je découverte gamin, je ne m’en souviens pas, mais elle me fascinait.
A cet instant, je suis Pompéi et Camille le Vésuve.
Elle emporte tout.
J’ai le cœur dans les talons, mais ce n’est pas totalement désagréable.
Oui, je sais, on dit « avoir l’estomac dans les talons », mais croyez-moi, ça marche aussi avec le cœur.
Ravi de voir que le titre de mon bouquin, Fioul (Editions Goater, collection Goater Noir, publié au printemps 2018) aura fait des émules...
Stéphane Grangier
Ps : https://www.lalibrairie.com/livres/fioul_0-4925735_9782918647331.html
Je cours jusqu'à la porte d'entrée, oublie que je n'ai que mes collants aux pieds, manque de glisser par deux fois sur le carrelage. Charlie Chaplin, sors de ce corps !