Après la représentation de "Bouge de là" à l'AST, Laurent Grisel, écrivain et membre du comité de rédaction de la revue littéraire remue.net donne le coup d'envoi du débat avec le public...
les Mundurukus
désignés par eux-mêmes, dans leur langue : « Wuujuyû », « nous, notre peuple »
peuple en lutte autrefois contre l’exploitation du caoutchouc
les arbres saignés de leur sève
les hommes transformés en travailleurs
employés dans l’exploitation du kumaru, l’arbre de la fève tonka
un grand arbre très grand, il peut faire 35 mètres de haut —
ayez de grands bras, il peut faire 1 mètre de diamètre —
peuple qui regarde les arbres, là-haut, vers leur sommet
et loin, plus haut, plus loin encore
les astres frissonnants, murmurants
peuple en lutte contre l’orpaillage
le mercure tueur qui les empoisonne
et contre les pilleurs tueurs
empoisonneurs des cours d’eau et des sols
contre l’armée et les autorités complaisantes aux pilleurs
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peuple en lutte contre la construction d’une voie
navigable sur le fleuve
qui leur volera leur fleuve
qui est leur eau à boire, leur bain et leur baignade
leur pêche
voie navigable qui amènera travailleurs et matériaux
de construction :
mines, mineurs –
on abattra des millions d’arbres pour en dessous
creuser des gouffres
en extraire la bauxite
et l’électricité des barrages, qu’on dira verte, propre
ira aux fonderies d’aluminium :
l’aluminium, matière légère et cassante, conductrice
d’électricité
pour les fusées, pour les avions
pour les éternelles fenêtres des petites maisons
barrage sur la cascade des Sept Chutes
lieu sacré des Mundurukus, des Kayabis, des Apiakás –
là que vit la mère de tous les poissons, la seule,
l’unique, la généreuse –
tous les poissons
des plus petits aux plus grands
le pacu, le pirarara, la matrinchã, le pintado et même
le piraíba, long de deux mètres,
y viennent tous les ans
visiter leur mère
et s’y reproduire
ici, dans ces cascades, dans les collines sacrées
vivent leurs ancêtres
une grappe d’enfants
du haut d’un arbre se jette dans le Tapajós
criant et riant
se réjouissant les uns les autres de sentir
à leurs oreilles
tous en même temps
le vent de leur plongeon
voies navigables qui par bateaux porteurs
descendront les bois abattus et sortis de la
forêt
et qui, à la fin, les sortiront d’eux-mêmes, Indiens
de leur propre territoire, vie, corps, esprit
par malheur quelques-uns de leurs chefs ont signé un
contrat éblouissant avec
Celestial
Green
Ventures
sur 2 millions d’hectares
aucun droit de planter ni brûler ni exploiter selon les
traditions
car
pour les marchés de compensation carbone, de
droits à polluer
violemment il faut conserver
le rêve d’une forêt vierge
qui ne l’est pas –
prudes, puritains armés d’avocats et de fusils –
et ce rêve sera conservé sur pied
pendant 30 ans
120 millions de dollars, versés aux Indiens
en 30 fois
de 2012 à 2041
une misère
au regard d’un commerce de droits à polluer
colossal
et le contrat comprend la vente de « tous les droits de
certificats ou de priorité à venir sur la
biodiversité de la zone »
main basse
sur toutes les plantes médicinales, sur les gènes ingénieux
et on brevètera tout ça
propriété privée
et on en tirera des rentes sur 20 ans selon le droit des
brevets
une exclusivité de 20 ans pour les voleurs de ce qui
n’appartient à personne
depuis 2001 le peuple Munduruku attend
que les autorités délimitent leur territoire
le territoire de leurs ancêtres – et les droits du peuple –
ce qu’il en reste, ce qui sera conquis dans la lutte –
sont et seront attachés à ce territoire, à ces limites
le cacique Juarez Saw Munduruku :
« nous en avons assez d’attendre »
70 hommes, femmes, enfants
parcourent la forêt
avec des machettes et un GPS –
le global positioning system, une constellation de
24 satellites –
et ils plantent les pieux
exactement là
où
il faut
la lutte entraîne la répression
qui entraîne la lutte
qui entraîne la répression
qui entraîne l’auto-organisation
qui entraîne la sympathie et la compréhension
qui entraîne la répression
qui entraîne le soutien et la solidarité
la tortue est l’animal rusé, stratège, déterminé
elle vient à bout
du tapir, du jaguar, de l’anaconda
les guerriers Mundurukus
se peignent
sur le corps
des écailles de tortue
un brusque changement d'échelle de temps…
un brusque changement d'échelle de temps
ce qui a été créé par millions d'années
le dissiper en un instant
c'est ce que fait le voleur qui arrache votre sac
l'assassin qui arrache votre vie –
un brusque changement d 'échelle de temps
notre vie pesante et légère, libre et non-libre
nos possessions d'années accumulées
d'un coup, envolées, zzzou !
c'est cela l'inconnu, le saut dans l'inconnu,
l'aveuglement, l'insensibilité
au bruissement des arbres, à la mutité des grenouilles
aux vents cosmiques
à la fermeture des mines
au passé : jamais aucun être humain, depuis que
le genre Homo existe, 2, 3 millions d'années ?,
n'a respiré, dans son air quotidien, dans son
souffle de chaque moment
autant de gaz carbonique
et on va, et on va
sous le soleil sous la chaleur…
sous le soleil sous la chaleur
la glace horizontale brille, eau
qui prend les moindres pentes, ridules, rigoles
ruisselis, glisselis de l'eau
affluant, se joignant en ruisseaux, bédières
grossissantes
qu'on entend de loin
méandres, cours ramifiés, convergents
formant lac
coulant dans une fente
une crevasse
entre deux contrées de glace écartées
tombant
dans un moulin, gouffre au bord de lumière bleue,
puis sombre
pluie aiguë et mate
déferlement rauque, bruits d'orgue, tous tuyaux à la fois
et sous 2000, 4000 mètres de glace dense
chant souterrain, chant plein
…
les Mundurukus
désignés par eux-mêmes, dans leur langue :
« Wuujuyû », « nous, notre peuple »
peuple en lutte autrefois contre l’exploitation du
caoutchouc
les arbres saignés de leur sève
les hommes transformés en travailleurs
employés dans l’exploitation du kumaru, l’arbre
de la fève tonka
un grand arbre très grand, il peut faire 35 mètres
de haut –
ayez de grands bras, il peut faire 3 mètres de
circonférence –
peuple qui regarde les arbres, là-haut, vers leur sommet
et loin, plus haut, plus loin encore
les astres frissonnants, murmurants
peuple en lutte contre l’orpaillage
le mercure tueur qui les empoisonne
et contre les pilleurs tueurs
empoisonneurs des cours d’eau et des sols
contre l’armée et les autorités complaisantes aux pilleurs
puisque c’est ainsi, on orpaille nous-mêmes :
ils limitent l’exploitation, la contrôlent, prélèvent des
taxes pour leurs écoles –
un auto-gouvernement
insupportable
et venant d’un peuple qui se bat
contre les barrages
pour la forêt, pour la rivière
au nom de la lutte contre l’orpaillage clandestin
il y eut donc un ordre de la justice
et les 6 et 7 novembre 2012, il y eut un commando de
200 hommes
opération Eldorado
qui terrorisa femmes et enfants
qui jeta caméras et téléphones portables dans la rivière
l’empoisonnant
qui détruisit maisons, ordinateurs du service de santé
et de l’école
qui détruisit les bateaux de pêche
qui assassina Adenilson Kirixi Munduruku
le visionnaire, le généreux
3 balles dans la jambe pour le fixer
1 balle dans la tête pour le finir
le cacique Orlando Munduruku dit :
« nous sommes à l’écoute de notre forêt
elle saigne et se lamente »
Je pense : « Ce sera Un hymne à la paix, et 16 fois puisque tu proposes ce partage, comme chiffre du partage : 2 fois 8, 2 puissance 4. » Ça tombe bien, cet Hymne, le dernier poème de Descartes tira l’épée, doit être lui aussi fondé sur le nombre 4. Et je vois le papier déplié – toute la hauteur dépliée – ce seront des poèmes de cette longueur – une longueur comme je n’en ai jamais usée. Ce sera la première fois que j’écrirai cela, ainsi. Et on donnera la construction du poème, pas à pas : les quatre voix l’une après l’autre, les six duos, les quatre trios, enfin deux quatuors : un manuscrit.
lacs sous-glaciaires…
lacs sous-glaciaires
certains isolés du ciel depuis 35 millions d'années
connectés entre eux
l’eau s’écoulant de lac en lac
lubrifiant l’interface roche-glacier
accélérant l’inflexion de l’immense masse blanche
accélération faite courant, exclamation
des lacs sous-glaciaires
par tunnels creusés par l’eau
en quelques heures se vident
à l’air libre
eau affluant de partout, de tous moulins et tunnels
lubrifiant, entrainant les glaciers
accélérant
leur allée
vers l’océan
pour dire, pour que tous disent :
il y a défaite
générale.
On ne fête pas d’avoir gagné :
personne n’a gagné.
Perdu, nous avons tous perdu, tout le monde a perdu,
il n’y a pas de victoire.
On fête : pas de victoire ;
on ne fête pas d’avoir été vainqueurs.
On fête : tous vaincus.
On fête : enfin il n’y aura plus de vainqueurs, jamais.
nous faisons plus vite …
nous faisons plus vite, dans notre hâte –
nous pourrions, si nous continuons
dans cette sombre et féroce et professionnelle
allégresse de destruction
mettre non pas 10 000 mais 100 ans
pour faire le même saut de concentration de carbone
et autres gaz à effet de serre dans l'atmosphère
heureusement, il y eut
les dizaines de milliers
les millions d'années
mais aujourd'hui ?
dans notre hâte ?
une hâte géologique, quelques millimètres de
poussières –
dans notre hâte générale, appliquée à tout
tout sans exception ?
…
l'enfer de la fin du Permien …
l'enfer de la fin du Permien, il fallut 10 000 ans
pour qu'il s'installe
il fallut environ 80 000 ans
pour que la vie revienne
ainsi Gaia
libère le CO, quand on va au froid
sinon, le capte quand on va au chaud
contre-cascade d'événements
fluctuations entre les deux limites vitales de chaud et
de froid
cette fluctuation s'appelle « sinon Mars la glaciale,
sinon Vénus la brûlante »
…