Cette semaine, la librairie Point Virgule vous présente deux romans récemment sortis en format poche et qui, chacun à leur façon et à deux périodes historiques très distinctes, mettent en scène des personnages à qui on refuse l'accès au fameux "rêve américain".
- Nos vies en flammes, David Joy, 10/18, 8,90
- Aminata, Lawrence Hill, Folio, 10,20
Après tous les livres que j'avais lus, après tout ce que j'avais appris des coutumes des Blancs en Caroline du Sud, j'éprouvais plus que jamais le sentiment que ces gens ne me connaissaient pas du tout. Ils savaient comment amener des bateaux jusqu'à mon pays. Ils savaient comment me capturer et me déporter. Mais ils n'avaient aucune idée de ce à quoi ressemblait ma patrie, ni des gens qui y vivaient ou de la façon dont ils vivaient.
Je m'appelle Aminata Diallo, fille de Mamadou Diallo et de Sira Coulibali. Je suis née dans le village de Bayo, à trois lune à pied de la côte des Graines en Efrique de l'Ouest. Je suis une bambara. Et une Peule. Je suis les deux, comme je l'expliquerai plus loin. Je crois que je suis née en 1745, ou pas loin de là.
Je m'appelle Aminata Diallo, fille de Mamadou Diallo et de Sira Coulibali. Je suis née dans le village de Bayo, à trois lune à pied de la côte des Graines en Afrique de l'Ouest. Je suis une bambara. Et une Peule. Je suis les deux, comme je l'expliquerai plus loin. Je crois que je suis née en 1745, ou pas loin de là.
Puis je tombai sur les lignes suivantes :
Sur les cartes d'Afrique, les géographes
Remplissent les blancs avec des images de sauvages ;
Et sur les collines inhabitables,
Ils placent des éléphants à défaut de villes.
Des éléphants à défaut de villes. Je trouvai réconfortant de savoir que, près de soixante ans auparavant, avant même ma naissance, Swift avait exprimé exactement le sentiment que j'éprouvais alors. Dans les cartouches ornementés d'éléphants et de femmes aux seins énormes, dressés comme pour esquisser un improbable salut, chaque coup de pinceau trahissait l'ignorance des cartographes sur mon pays.
En Caroline du Sud, j'étais une Africaine. En Nouvelle-Ecosse, j'étais devenue une loyaliste, ou une Noire, ou les deux. Et maintenant, enfin de retour en Afrique, on me considérait comme une Néo-Ecossaise et, à certains égards, c'est ainsi que je me percevais, moi aussi. Je me sentais assurément plus Néo-Ecossaise qu'Africaine quand les femmes temnées se rassemblaient autour de moi, portant en équilibre sur leur tête d'énormes plateaux remplis de grains, de volailles ficelées et de fruits. Elles savaient que j'étais venue avec Clarkson et les marins blancs. Par leur façon de me serrer les mains et les bras, je voyais qu'elles me jugeaient aussi étrangère que les Britanniques.
C’est seulement quand on est à l’abri, qu’on peut dire dans quelle direction souffle le vent. C’est seulement lorsqu’on est en sécurité qu’on peut savoir comment se protéger du danger.
La carte montrait un continent à a forme d'un champignon dont la tige était écalée vers la droite. [...] Il y avait des mots minuscules à l'endroit où la terre rencontrait la mer, mais à l'intérieur des terres, on trouvait surtout des dessins d'éléphants, de lions et de femmes aux seins nus. Dans un coin de carte, je vis le croquis d'un enfant africain couché sous un arbre, à côté d'un lion. Jamais je n'avais vu chose plus ridicule. Aucun enfant ne serez assez stupide pour dormir avec un lion.
[...] Cette carte de l'Afrique ne représentait pas mon pays. Elle sortait de l'imagination de l'homme blanc.
Aujourd’hui, quand les gens me questionnent sur mon pays, ils semblent tous fascinés par les bêtes féroces. Tout le monde veut savoir si j’ai eu à fuir des lions ou des éléphants en débandade. Or, ce que j’avais le plus à craindre, c’étaient les voleurs de personnes. Le prisonnier, homme ou femme, qui perturbait le convoi était sauvagement roué de coups. Toute personne qui essayait de fuir était tuée. Les animaux sauvages étaient le moindre de mes soucis.
Mes enfants étaient comme des membres fantômes, perdus mais toujours attachés à moi, disparus mais toujours douloureux.
La dernière fois que j’avais vu des Peuls prier en groupe, c’était dans mon village de Bayo, et cela me rendait malade de penser que des hommes qui partageaient la religion de mon père s’enrichissaient par le commerce des esclaves. Je me demandai comment quelqu’un qui se considérait comme un bon musulman pouvait traiter d’autres êtres humains de cette façon, puis je me dis que cette même question pouvait aussi concerner les chrétiens ou les juifs.