Feedback, Letizia Pezzali a "Libri & Dialoghi" - Ubik Foggia
« Certaines choses m’avaient échappées, d’autres m’échappent sans doute aujourd’hui.
La vie est un parcours semé de cécités et de révélations tardives au long duquel nous ne remarquerons jamais le ridicule qui nous entoure » .
« Je te souhaite tout le bien possible et j’espère que tu seras heureuse, en admettant que le bonheur existe.
Moi, je ne le crois pas, mais les autres y croient et il se peut que ce soit eux qui soient dans le vrai » .
NATALIA GINSBURG , Je t’écris pour te dire.
Nous ne parlions pas, ne nous approchions pas. C’était un rêve mélancolique, privé de la familiarité retrouvée à laquelle on pourrait s’attendre, et privé de peur. En un sens, c’était l’opposé de la première fois que je t’ai vu, à la présentation de ton livre : j’ai immédiatement ressenti une forte familiarité, tout en étant face à une personne que je n’avais jamais rencontrée. Une familiarité très vite suivie de la peur liée à l’attraction. Ça aussi, c’est un moyen de tomber amoureux : reconnaître l’autre bien qu’il nous soit inconnu. Le reconnaître et, précisément parce qu’il nous est inconnu, prendre peur. Mon père représente ce qui existe en moi : il fait partie de mon patrimoine génétique. J’ai toujours pensé que nous avions des traits spirituels communs. Les histoires de ma mère m’ont fait deviner certaines affinités. Toi, en revanche, tu représentes ce que j’ai trouvé de familier là dehors, dans le monde. Quel peut être le rapport entre les ressemblances génétiques et les familiarités de l’amour romantique ? J’ai beau chercher, je n’arrive pas à définir le lien entre la figure de mon père et la tienne. Elles restent distinctes pour moi.
Les histoires d’amour ne suivent jamais une courbe régulière ; elles sont traversées de singularités, de courants, de turbulences. Il est difficile de retrouver a posteriori les étapes, les pas accomplis. Il est plus simple de se rappeler le pic négatif et le final. Notre esprit mélange ces deux moments et crée l’impression générale que nous garderons pour toujours, il le fait pour nous aider. Nous pouvons nous en contenter ou passer le reste de notre vie à lutter contre notre mémoire pour exhumer, avec précision, notre inquiétude. À un certain moment de notre relation, Michele baissa toutes ses défenses et afficha sans retenue son attachement amoureux, au point que je pris peur. Je me réfugiai dans mes activités universitaires. Il me contactait, exprimait du tourment, de la douceur et du désir. Du désir pas seulement sexuel : il manifesta la volonté de faire quelque chose de spécial pour moi. Un élan protecteur. Dans la phase initiale, je lui avais couru après, à présent, l’histoire prenait un tour différent et je n’étais pas aussi heureuse que je l’aurais pensé.
Selon l’auteur, les animaux domestiques étaient traités par leurs maîtres comme des personnes et les dépenses pour les entretenir connaissaient depuis des années, dans le monde occidental, une croissance très stable, insensible aux crises économiques. Le besoin d’amour et de compagnie, l’intensité des connexions émotives qui s’établissent entre l’homme et l’animal étaient des phénomènes observables dans toutes les classes démographiques. Un sondage révélait que les deux tiers des personnes possédant des animaux domestiques dormaient avec leur animal, plus de soixante pour cent lui rapportaient un cadeau en rentrant de voyage, vingt-cinq pour cent cuisinaient ses repas plutôt que de les acheter tout prêts, vingt pour cent lui achetaient des vêtements. La moitié des personnes interrogées ne considéraient pas leurs dépenses médicales personnelles comme prioritaires par rapport à celles de leur animal domestique : beaucoup de gens étaient donc disposés à se laisser mourir pour le bien de leur chien, en somme.
Notre pays d’origine, lorsqu’on s’en éloigne trop longtemps, devient l’objet d’un complexe d’infériorité. Les journaux semblent parler d’événements qui ne sont pas à notre portée. Nouveaux sujets politiques, structures d’entreprises qui s’étirent et se replient le long des chaînes d’actionnariat, rumeurs apparemment intéressantes qui se révèlent inutiles, amitiés secrètes entre personnalités inconnues, sourires et affronts indéchiffrables. Parallèlement, le pays de résidence, le pays étranger qui nous accueille, devient familier, même si cela reste superficiel. Un rien suffit – la vanne d’un humoriste à la télé. Nous saisissons le sens littéral, nous comprenons pourquoi c’est drôle, pourtant nous ne rions pas. Nous ne parvenons pas à nous mêler au pays étranger dans lequel nous vivons depuis des années. Suspendus entre deux terres énigmatiques, nous nous sentons forcément instables. S’il y avait un orage, dans certains films ce serait le moment de faire une promenade sous la pluie.
Si en tant que prisonnier nous devons nous habituer à ne pas dire « Je t’aime », en tant que gardien, nous pouvons le répéter à loisir, poursuivre l’autre avec insistance, l’enfermer dans la cage de notre malheur et, de l’extérieur, lui chanter la sérénade. Ou alors nous pouvons décider de ne plus rien dire de gentil, en nous taisant brutalement, sans explication.
« Pour les êtres humains, le présent est trop compliqué. Pour les autres créatures vivantes, peut-être pas, mais pour les personnes, c’est un fait. Certains d’entre nous préfèrent cultiver la mémoire, ils ont la manie de tout documenter, s’interrogent sur leurs origines. En vacances, ils photographient activement, pour accumuler des détails et se les rappeler ensuite. Ils habitent le passé. D’autres, en revanche, aiment nourrir des espoirs, poursuivre leurs rêves, réfléchir sur leurs peurs. Ils contemplent l’avenir avec amour et inquiétude, songent à la mort ou organisent leur nouvel an, ce qui revient au même. Maintenant, je me demande, je vous demande : existe-t-il une troisième catégorie de personnes, la catégorie de ceux qui se consacrent avec passion au présent ? Pour moi, en toute honnêteté, non. En général, le présent nous attire de manière superficielle, nous faisons l’éloge de ceux qui profitent de l’instant.
Combien de fois je me suis fait des idées. Un soir où j’étais chez lui, on est sortis faire un tour et on a croisé une jolie fille qui se rendait à la salle de sport. Elle portait un sweat-shirt fuchsia qui lui allait très bien. Elle s’est arrêtée et l’a salué chaleureusement, il me l’a tout de suite présentée. J’ai cru un instant qu’il y avait quelque chose entre eux, que tout avait été organisé. J’ai pensé que c’était sa petite amie. Mais non, rien. J’ai été déçue. Heureusement, cela n’arrivera plus. Mais parlons de toi, tu es si jeune. Ne reste pas trop assise à ton bureau, sinon, tu vas avoir les fesses plates. » Quand nous rejoignîmes notre groupe, la super-maman montrait les photos de ses enfants. Le néo-entrepreneur poursuivait ses raisonnements. J’écoutais par bribes, vidais mon verre, le remplissais et devenais de plus en plus joyeuse. L’alcool avait sur moi un effet immédiat.
Nous gagnons de l’argent pour faire et avoir des choses plaisantes, des choses qui, en théorie, comblent les vides de l’existence. Seulement, pour gagner cet argent, nous devons beaucoup travailler, alors notre temps disponible est limité, fragmenté et difficile à gérer. Il risque de rester vide à cause de toutes ces complications. Cet aspect est problématique, mais nous décidons de ne pas nous plaindre, et voilà. Certains ne semblent même pas percevoir le problème : ce sont des personnes chanceuses, qui ont de l’étoffe, non pas au sens où elles ont entrevu la raison supérieure de notre présence ici, car tout le monde sait qu’elle n’existe pas, mais au sens où elles se roulent dans la banque comme des cochons dans la boue. Rien de péjoratif, soyons clairs. Les cochons sont des animaux très intelligents. Enfin, voilà, il y a les communistes. Ils sont bizarres. Presque inexistants.