Tu t'émerveilles devant tout et n'importe quoi. Lorsque tu fais de la musique, tu es en totale communion et nous comprenons, ton père, ton frère, tes sœurs et moi, que tu ne seras jamais aussi heureuse qu'avec ton violon dans les mains. Pour rien au monde nous ne souhaiterions que cette vision disparaisse. En aucun cas nous ne voudrions que tu ne sois plus là. Nous ne cesserons jamais de t'aimer, tu m'entends? Je ne cesserai jamais de t'aimer. Je continuerai de me battre jusqu'au bout, même si tu es arrivée dans tes derniers retranchements. S'il me faut détruire des murs de la maison pour toi, je les détruirai moi-même. Si je dois te porter, je le ferai. Mais écoute-moi bien, Elise, parce que je ne te le demanderai plus jamais: je te supplie de te battre !
Nous possédons un lien puissant et invisible, lui et moi. C'est sans doute le sentiment que deux benjamins peuvent éprouver en n'étant ni les premiers ni les derniers. Pour de nombreuses personnes, à commencer par nos propres parents, nous aurions pu être des jumeaux, à tel point qu'il était difficile de nous séparer. Nous n'avons jamais perdu ce lien inextricable nous unissant. Aujourd'hui, nous étions comme les deux doigts d'une même main sur le point d'être amputée pour toujours. Il le sait et le sent plus que quiconque autour de nous. Et pourtant, il continue de sortir des blagues.
- Ca sent le vieux, ici.
C'est le jour et la nuit entre le Honfleur poétique et Le Havre industriel. Cela fait pourtant partie du décor et nous y sommes désormais plus attachés qu'il n'y paraît. Nous arrivons à l'entrée du jardin des personnalités, l'endroit même où j'ai souhaité que nous nous baladions. Au printemps, les fleurs garnissent les nombreux parterres en offrant des milliers de couleurs différentes. L'hiver, ces dernières ont disparu, mais le lieu revêt une dimension mystérieuse où la brume cohabite avec la végétation endormie. Il y a, de chaque côté du chemin que nous empruntons, des haies qui ont la forme de bateaux.
Je comprends soudainement qu'elle aussi s'est mise à photographier cette scène pour l'enregistrer à tout jamais dans sa mémoire. Nous échangeons alors un regard qui en dit long. Je ressens sa fierté et son amour. Je suis à deux doigts de reposer mon violon pour aller la serrer dans mes bras, mais je continue à jouer pour repousser cet instant le plus longtemps possible. Plus tard, avant de nous coucher, nous ferons notre câlin habituel et je lui dirai que je l'aime. Oui, je le ferai.