Je demeurais assise dans mon fauteuil à me reposer pendant les longues heures de l'après-midi, près de la chaleur de ce diable de poêle que je m'étais éreintée le matin à remettre en route. Parfois, je m'endormais et je déplorais ma solitude...J'aurais aimé bavarder tout simplement avec des personnes de mon âge, ou même les écouter parler entre-elles, non loin de moi. Mais je ne voyais pas autour de moi qui pourrait venir me faire la conversation.
Ah si j'avais su, quand je gambadais, jeunette, à Castanet, que je terminerais mon parcours ici-bas dans une maison commune, partagée avec d'autres vieillards qui m'entoureront avec tous leurs lointains souvenirs ! Quelle drôle de chose, l'histoire d'une existence ! Bientôt , je passerai un coup d'éponge humide sur l'ardoise de ma vie.
Je sais que la notion de folie est sacrément relative ! Et qu'il n'est pas de pouvoir plus dangereux aux mains des hommes que celui qui les autorise à déclarer fous certains de leurs semblables. (p.102)
Le Grand Reposoir est une espèce d’asile d’aliénés. Mais je n’ai pas l’impression qu’il y ait des fous parmi nous à proprement parler. Je sais que la notion de folie est sacrément relative ! Et qu’il n’est de pouvoir plus dangereux aux mains des hommes que celui qui les autorise à déclarer fous certains de leurs semblables. En fait, dans ce microcosme artificiel, je vois les êtres humains tels que j’aurais voulu qu’ils fussent. Originaux, variés, contradictoires, critiques, chercheurs, lucides et au fond… indéfinissables tant on sent chaque être posséder des facettes multiples et toujours miroitantes. Nous constituons les uns par les autres un fascinant spectacle. Comme il serait passionnant de découvrir ce qui fait la richesse de chacune de ces personnalités… si nous étions là de notre propre volonté avec la possibilité d’en sortir.
Dans cette atmosphère d'automne en demi-teinte, où mélancolie et sérénité se mélangeaient dans ma tête et me brouillaient l'humeur, je réfléchissais à la façon dont il me faudrait organiser le reste de mes jours. Et je n'y voyais pas bien clair...