Mardi 9 octobre 1917. [mutation dans une ambulance chirurgicale, loin du front]
(...) Au point de vue médical, je vais donc pouvoir retravailler. Ça ne fera pas de mal car -si j'ai conscience de connaître à fond mon métier de médecin auxiliaire de bataillon, autrement dit, de brancardier de première classe (métier qui consiste à savoir ramper sous les balles et à coller des pansements sales dans l'obscurité avec des doigts pleins de boue) - j'ai conscience également d'avoir oublié le peu de médecine que j'avais péniblement emmagasiné autrefois...
Vendredi 11 mai 1917. (...) Le soir, arrive la feuille de renseignements pour une proposition pour moi, à la médaille militaire. C'est la troisième. Je suis bien placé pour savoir ce que ça vaut et n'y compte nullement : la parcimonie des généraux pour donner des récompenses n'égale que leur libéralité à sacrifier des milliers de vies humaines. Pendant le bataille, on est un as, après, on n'est plus bon qu'à donner aux chiens.
Dimanche 13 mai 1917. Ça n'a pas duré longtemps, l'illusion, cette fois-ci !! Le commandant reçoit un billet pour lui dire que la médaille est refusée et qu'elle se transforme en citation à l'Armée. D'ailleurs, ça peut encore baisser. Quelle bande de salauds que ces gens qui, n'ayant jamais entendu siffler une balle, jugent que vous ne méritez pas telle récompense pour laquelle vous proposent ceux qui vous ont vu à l’œuvre !! C'est écœurant ! Ils font tout pour vous dégoûter. Et pour les poilus et pour les officiers, c'est le même procédé, à tous les échelons... Dieu sait pourtant si j'en avais de l'enthousiasme !!
Jeudi 3 mai 1917. (...) Quelle boucherie encore on va avoir !! C'est bien fait pour moi et je n'ai pas le droit de me plaindre : je suis l'un des nombreux imbéciles qui ont poussé le chauvinisme jusqu'à souhaiter la guerre. Eh bien je suis servi ! Je dois boire le calice jusqu'à la lie, sans me plaindre...
Les cuistots ne veulent pas lâcher leur mission : ils ont le dîner de leurs camarades et le porteront jusqu'au bout. Oh! Comme je les admire! J'ai presque honte d'avoir hésité, avoir pensé un instant faire demi-tour. Quelle leçon! Moi qui - depuis que je suis au monde- ai juré une haine aux prussiens, moi qui ai été jusqu'à souhaiter une guerre............qui, hier encore, ai appris avec douleur la mort de plusieurs de mes amis , qui ai juré d'aller les venger ce soir-même - je viens de frissonner ; je crois que j'ai eu peur.......J'en suis là de mes réflexions quand je vois l'un des cuistots déjà debout. Simplement il dit: " Nous avançons, mon lieutenant ? " Nous le suivons . Maintenant nous rions.