Ban-Muong, le 4 mars 1895
J'ai reçu des lettres de France me demandant des notes sur ce que je vois. Quelles notes prendre sur un pays où il n'y a rien ? Pour arriver jusqu'ici, où le paysage n'est pas joli, mais moins laid qu'ailleurs, il faut faire six cents kilomètres en remontant le fleuve depuis son embouchure. Dès qu'on quitte le Mékong, plus de villages ; rien que de la forêt et de la brousse. Cela est si vrai qu'il est très difficile de marcher vers un endroit qu'on s'est désigné d'avance. J'ai été absent six jours ; je n'ai jamais pu voir le point sur lequel je me suis dirigé, et j'ai trouvé quatre villages dont deux n'avaient que quatre maisons, et quelles maisons ?
Voilà le joli pays. A mille lieues de France, on se figure que tout ce qui se trouve à une distance aussi considérable que celle d'où j'écris est beau, splendide et merveilleux à voir. Eh bien ! En dehors de Ban-Muong même, avec son fleuve et ses montagnes bleues, rien de ce que j'ai aperçu jusqu'à présent ne mérite seulement qu'on lève la tête pour le regarder. Espérons que cela va changer et qu'en allant plus haut dans ce pays, je trouverai peut-être des choses intéressantes.
Nos lao construisent des abris et des lits avec des branches. Cette dernière précaution m’étonne mais quand je vois un tas de sangsues ramper auprès de moi, je comprends…